mardi 26 janvier 2010

"Cristallisation secrète"


Dans tous ses livres - et ils commencent à être nombreux -, Yoko Ogawa explore inlassablement le thème de la mémoire. Ce qui pourrait devenir répétitif si elle ne réussissait pas l'exploit de le faire chaque fois d'une manière différente, sous un angle nouveau et original, tout en gardant ce style délicat et empreint de mélancolie qui n'appartient qu'à elle. D'habitude, j'attends que ses romans sortent en poche chez Babel pour les acheter. Mais la superbe illustration et la quatrième de couverture de la version Actes Sud - plus grande et plus chère - m'ont fait faire une exception pour "Cristallisation secrète".

L'histoire se déroule sur une île coupée du reste du monde et soumise à un étrange phénomène: les choses y disparaissent les unes après les autres. Après les oiseaux et les roses, vient ainsi le tour des calendriers, puis des livres... et bientôt, c'est une partie même du corps humain qui se trouve touchée par cet effacement progressif. Les habitants ne s'en émeuvent pas, à l'exception de quelques rares individus dont les souvenirs demeurent intacts - et qui sont impitoyablement traqués par les "chasseurs de mémoire"...

Très vite, le lecteur comprend que "Cristallisation secrète" est une subtile métaphore des régimes totalitaires. C'est la première fois à ma connaissance qu'une oeuvre de Yoko Ogawa aborde un sujet aussi concret et politique. Mais elle le fait d'une façon si pleine de poésie, si dénuée de critique directe qu'on a l'impression de pénétrer dans une dimension parallèle, sans rapport avec la réalité malgré l'angoisse qu'elle suscite. Pour autant, difficile de ne pas penser à Anne Frank et à tous les Juifs qui furent, comme l'éditeur de la narratrice, obligé de se terrer dans des réduits minuscules pour échapper aux rafles nazies pendant la seconde guerre mondiale. Un roman magnifique qui donne à réfléchir et à se souvenir.

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