jeudi 10 juin 2010

"Invisible"


Il paraît qu'il faut écrire sur ce que l'on connaît. Si je ne suis pas nécessairement d'accord avec ce principe, Paul Auster, lui, s'emploie à n'y pas déroger depuis plus de vingt ans. De la même façon que Woody Allen, fut un temps, ne parlait dans ses films que d'intellos juifs new-yorkais, Paul Auster centre chacun de ses romans autour d'écrivains ou autres gens de lettres. Son oeuvre est une gigantesque mise en abyme de la littérature, un objet qui s'interroge sur et s'observe lui-même - mais avec une écriture si fluide, une structure si brillante qu'elle devient rarement absconse ou indigeste. C'est pourquoi j'attends toujours beaucoup de ses livres. Et c'est pourquoi j'ai été déçue par "Invisible", son dernier opus en date.

Je suis quelqu'un qui, d'ordinaire, s'attache aux personnages davantage qu'aux histoires. Ici, entre un jeune héros incestueux et vaguement pitoyable, son antagoniste charismatique mais monstrueusement immoral et une femme fatale presque dénuée de substance, il m'a été impossible de le faire. Restait ce que la quatrième de couverture promettait comme "le vertigineux kaléïdoscope (qui) met en perspective changeante les séductions multiformes d'un récit dont le motif central ne cesse de se déplacer". Comprendre: quatre parties toutes écrites d'un point de vue différent, et censées s'emboîter les unes dans les autres telles les pièces d'un puzzle. Sauf qu'arrivé à la dernière page d'"Invisible", le lecteur reste sur sa faim, avec trop de questions en suspens pour se sentir satisfait. Les personnages de Paul Auster ont toujours conservé une certaine part de mystère; ici, l'absence de certitudes à leur sujet ne les rend pas tant insaisissables qu'incohérents. Adam Walker a-t-il oui ou non eu une liaison avec sa propre soeur? Qu'est-ce qui a poussé Rudolph Born à l'approcher lors de cette soirée new-yorkaise, puis à lui proposer de créer un magazine littéraire? Nous ne le saurons jamais, et du coup, "Invisible" nous laisse un goût d'inachevé, d'inabouti.

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