vendredi 30 septembre 2011

"Shä et Salomé: Jours de pluie"



Ces derniers temps, j'en ai plus que ras-le-bol de la "bédé de blogueuse fille", ces ouvrages au style honteusement repompé sur Pénélope Bagieu ou Margaux Motin qui mettent inévitablement en scène une célibataire pourvue de quelques kilos en trop et d'une tonne de mauvaise foi. Mais si, vous savez, la caricature de lectrice de Cosmo qui claque beaucoup trop de thunes en fringues importables, glousse aux terrasses des cafés avec ses copines et dit du mal des hommes alors que son seul rêve dans la vie, c'est d'en choper un pour se faire offrir une bague en diamant et 2,1 marmots. Au bout d'un moment, tant de stéréotypes et de manque d'imagination finissent par lasser.

C'est pour ça que même si j'avais repéré "Shä & Salomé : Jours de pluie" depuis ma dernière virée au Cook&Book, je ne me suis décidée à l'acheter qu'hier après avoir eu le temps de parcourir le début et de m'assurer que, ouf, rien à voir avec toutes les bédés en question. Je l'ai emportée chez Les Gens Que J'Aime (définitivement mon QG lecture en centre-ville). Je me suis assise au frais mais en pleine lumière, dans l'un des fauteuils avachis qui occupent le petit coin entre vitrine et bar. Tous les autres clients se pressaient en terrasse pour profiter de ces 25° si incongrus fin septembre à Bruxelles, et la salle était déserte - juste le barman qui ne faisait pas de bruit derrière son comptoir, un fond musical de qualité comme toujours, un verre de limonade citronnade maison bien fraîche et moi.

Pendant une heure de pur bonheur, j'ai savouré les tranches de vie d'un couple atypique et touchant. Salomé est rousse mais le nie farouchement; Shä est un chat, et ça ne leur pose aucun problème. Salomé collectionne les vieilles consoles de jeu et consacre ses soirées à faire des raids sanglants dans WoW; Shä est un écrivain en panne d'inspiration qui porte toujours la même vareuse de marin, fume la pipe et tape encore ses manuscrits sur une Olivetti. Salomé passe toutes ses nuits chez Shä, dont elle a colonisé la maison avec ses affaires, mais flippe à l'idée d'emménager avec lui. Shä compose des ritournelles absurdes, récupère les peluches de nombril de Salomé pendant qu'elle dort et les colle dans un cahier avec la date. Salomé soutient l'(éternellement perdante) équipe de foot de Papouasie-Nouvelle-Guinée; Shä a apprivoisé une mouche nommée Gencive, et il est persuadé que Dieu est un poney. Ces deux-là s'aiment avec une conviction inébranlable et une fantaisie débridée. Ce n'est pas qu'ils se rebellent contre les conventions, c'est juste qu'ils ont su se créer une bulle bien à eux, pleine de tendresse et de chaleur. Une bulle dont je ne suis sortie qu'à grand regret au bout de 110 pages. En principe, je déteste relire romans ou bédés, mais je sais que "Shä et Salomé" fait partie des ouvrages que je revisiterai encore et encore.

Un p'tit tour sur le blog de la dessinatrice?

samedi 24 septembre 2011

"Chimère(s) 1887, T1: La perle pourpre"



Fin du XIXème siècle. Tandis que Ferdinand de Lesseps s'obstine à tenter de percer le canal de Panama en dépit d'un monstrueux coût matériel et humain, la jeune Chimère, une orpheline de 13 ans, est vendue par ses tuteurs à la patronne d'une maison close très chic. Sa virginité est mise à prix et suscite des enchères record, mais son premier client commence par la tabasser avant de coucher avec elle. Pourtant, Chimère n'est pas une victime: forte et déterminée, elle a déjà calculé combien de temps elle mettrait pour racheter sa liberté à Madame Gisèle. En attendant, elle découvre ses compagnes et les règles de la vie au bordel...

Ce sujet controversé, que Christophe Pelinq alias Arleston avait d'abord proposé à Canal + pour en faire une série télé (il se fera gentiment éconduire, et "Maison Close" sera produit quelques mois plus tard...), aurait pu donner une bédé sulfureuse, ou du moins très crue. Ce n'est pas le cas. Oui, les pensionnaires de Madame Gisèle se promènent les seins à l'air, mais on ne voit jamais une seule scène de fesses, tout au plus quelques bisous lesbiens. Après tout, pourquoi pas? Eviter le racolage est une intention louable. Le problème, c'est qu'il ne se passe pas grand-chose d'autre dans ce tome 1. Les scénaristes nous présentent un contexte historique intéressant, dont on devine qu'il aura un rôle à jouer plus tard; mais en attendant, on peine à trouver crédible cette héroïne qui a grandi à la campagne, exploitée par ses tuteurs, et qui est pourtant déjà si douée pour manipuler les gens. Un tome de mise en place qui laisse un peu le lecteur sur sa faim.

vendredi 9 septembre 2011

"Le retour"



Je n'aurais sans doute jamais prêté attention à ce roman d'une auteur néerlandaise, paru chez Babel il y a deux ans déjà, si Filigranes n'y avait pas apposé une étiquette "Coup de coeur".

"Au printemps 1775, Elizabeth Cook, 34 ans, seule depuis trois ans, attend le retour de son célèbre époux, James Cook, qui effectue son second voyage exploratoire.
Alors qu'elle se prépare à l'accueillir, qu'elle imagine une vie nouvelle, la reconstruction d'une relation conjugale et familiale authentique, l'angoisse l'étreint. Déroulant le fil de sa mémoire, Elizabeth revisite ses longues années de solitude, ses difficultés, ses douleurs, ses drames vécus dans le secret - et s'interroge sur la possibilité de recréer un lien si ténu.
James Cook revient enfin, mais la mer l'attire plus que tout, et il ne pense bientôt qu'à repartir..."

Malgré sa très grande exactitude historique, ce roman dont j'ai dévoré les presque 500 pages est avant tout le portrait d'une femme extraordinaire. Elizabeth est tout sauf l'épouse effacée et soumise d'un mari célèbre. C'est son caractère qui lui permet de tenir sa maison pendant les longues absences de James et de faire face, seule, au deuil successif de ses six enfants. Anna Enquist la dépeint comme instruite, ouverte d'esprit et résolument moderne. La finesse avec laquelle elle décrit ses doutes, ses interrogations et ses tourments intérieurs n'est pas sans rappeler Virginia Woolf.

Elizabeth reste éternellement à terre, ancrée dans une réalité domestique parfois apaisante et parfois cruelle, tandis que loin d'elle, son époux vogue sur les océans pour assouvir sa passion du voyage et des découvertes. J'ai beaucoup aimé le mélange de réalité historique, qui m'a appris une foule de choses sur la navigation exploratoire, et d'extrapolation psychologique aussi crédible que pleine de sensibilité. "Le retour" est un roman intelligent qui transporte et qui émeut. Et comme il est extrêmement bien traduit, je n'ai même pas eu à regretter de ne pas connaître le néerlandais!

mardi 6 septembre 2011

"Chapellerie pour dames de coeur, chats bottés et enfants songes"



Il y a quinze ans, j'avais craqué un peu au hasard pour le "Magasin zinzin" de Frédéric Clément, inventaire farfelu illustré par de magnifiques collages. Le mois dernier, j'ai trouvé chez Contrebandes la "Chapellerie pour dames de coeur, chats bottés & enfants songes" du même auteur. Il y est question qu'Aquilon Aquilon, vent du nord et fieffé voleur de couvre-chefs, qui se trouvant un jour emprisonné dans le melon de Magritte fait miroiter les plus belles pièces de sa collection à qui le délivrera: Stradivari Capello chantant, nid de cendres de phénix, Lacrima Bibi qui se nourrit de larmes, sombrero héroïque Zapatero criblé de trous de balles, chou turc du Grand Mamamouchi, chapeau à fleur carnivore... Cet ouvrage, merveille de poésie fantaisiste pour petits et grands imprimée sur un papier somptueux, me donne envie de commander sur le champ tout ce que l'auteur a publié un jour. Allez donc faire un tour sur son site internet, vous comprendrez mieux mon ravissement...

lundi 5 septembre 2011

"Les enfants d'Evernight" T1



Si j'ai pas mal d'amis écrivains, j'ai connu la plupart d'entre eux à une époque où ils étaient déjà publiés; je n'ai pas été témoin de leurs efforts pour trouver un éditeur et accoucher de leur premier "bébé". Voilà pourquoi j'ai éprouvé une joie particulière à découvrir dans les rayons de la Fnac le tome 1 des "Enfants d'Evernight", paru la semaine dernière chez Delcourt. Parce que ça fait plusieurs années que je suis épatée par l'énergie et la productivité d'Andoryss qui concilie boulot de jour prenant, écriture à un rythme effréné et entraînement intensif sur tatami. Parce que j'ai observé, de loin, la façon dont elle s'est démenée pour que son projet atterrisse enfin sur les tables des librairies. Du coup, j'espérais vraiment pouvoir dire quelque chose de sympa sur cette bédé (la première!) dont elle signe le scénario.


"Londres, 1899. Camille refuse d'aller au pensionnat où son père a décidé de l'envoyer. La nuit venue, elle fait le voeu de ne pas se réveiller... et se retrouve de l'autre côté de la nuit, dans un univers magique aux règles très strictes où les voyageurs égarés n'ont pas le droit de rester. L'arrivée de la jeune fille va pourtant bouleverser ces règles et la plonger dans une grande aventure..."


Tout comme l'héroïne, on se sent d'abord passablement paumé en débarquant à Evernight, bombardé de noms inconnus et de visions étranges. On peine à comprendre comment fonctionne cet univers riche et original. On s'interroge sur les motivations des protagonistes; on se demande qui sont les gentils et les méchants, à qui on peut se fier et de qui on doit se méfier. Bien qu'il s'agisse d'un tome d'exposition, les événements s'enchaînent déjà très vite, jusqu'à un retournement final qui fait trépigner le lecteur et lui donne juste envie de réclamer la suite.


Graphiquement, c'est très beau, même si je déplore le côté trop lisse du DAO. Il y a beaucoup de recherche dans les décors et les costumes. Marc Yang, dont c'est également le premier travail publié, a fait un travail qui serait déjà remarquable de la part d'un professionnel confirmé. Espérons qu'il mette le turbo pour produire très vite le second tome de cette série qui devrait en compter quatre en tout.

vendredi 2 septembre 2011

"Mille jours à Venise"



A l'issue d'un séjour à Venise, une Américaine plus toute jeune dîne avec ses amis quand un serveur vient lui annoncer: "Téléphone pour vous". A l'autre bout du fil, un client qui vient de sortir du restaurant. Il l'a aperçue lors d'un séjour précédent, il est instantanément tombé amoureux d'elle, et puisque le destin les a remis en présence, il sollicite un rendez-vous galant...


Si un auteur avait osé commencer son roman de la sorte, j'aurais violemment protesté que la suspension d'incrédulité avait des limites. Mais voilà, "Mille jours à Venise" est un récit autobiographique. Après avoir passé seulement quelques jours avec son bel étranger aux yeux couleur myrtille, Marlena décide de lâcher toute sa vie en Amérique afin de le rejoindre et de l'épouser. Elle vend la jolie maison qu'elle vient de finir de rénover, cède ses parts dans le restaurant dont elle est le chef depuis un an à peine et prend un aller simple pour l'Italie. Oui mais voilà: le bel étranger aux yeux couleur myrtille habite un appartement sinistre et ne goûte guère sa cuisine trop sophistiquée selon lui. Très vite, Marlena se senti isolée dans ce pays dont elle ne parle pas la langue, cette ville où les gens considèrent sa spontanéité comme un insupportable manque de raffinement. Mais au nom de son amour pour Fernando qui ne lui facilite pourtant pas la vie, elle va peu à peu surmonter sa déprime et apprivoiser sa nouvelle vie...


Même en sachant qu'il s'agit d'une histoire vraie, j'ai eu du mal à croire qu'une femme ayant subi une enfance difficile et un premier mariage raté puisse croire aussi aveuglément en l'amour, au point d'abandonner tout ce qu'elle a construit pour foncer tête baissée de l'autre côté d'un océan. D'autant que son bel étranger aux yeux couleur myrtille n'est pas vraiment dépeint comme un cadeau du quotidien! Donc, je suis sans doute passée à côte de l'histoire d'amour de l'auteur. Mais j'ai beaucoup apprécié ses descriptions sensuelles de Venise, ses efforts d'adaptation à une nouvelle culture, et surtout la dimension culinaire de son récit. A la fin de "Mille jours à Venise", elle livre quelques-unes des recettes dont elle parle dans son livre. Je suis très impatiente d'essayer son gratin de poireaux à la vodka ou ses pâtes à la sauce aux noix. Et je lirai probablement la suite de ses pérégrinations italiennes: "Mille jours en Toscane".