jeudi 17 novembre 2011

"Veuf"



Hier, en lisant un très beau livre attablée à une terrasse devant un diabolo menthe (que voulez-vous, on ne se refait pas), j'ai réalisé que j'étais une vieille conne réac.

Ce livre, c'est "Veuf" de Jean-Louis Fournier, dans lequel l'auteur évoque le souvenir de son épouse morte subitement l'année de ses 65 ans. Avec une immense délicatesse et un humour surprenant en regard d'un sujet aussi grave, il brosse un portrait émouvant de l'absente. Les anecdotes de leur vie commune sont comme des coups de pinceaux, de petites touches de couleur vibrantes qui ressuscitent sa Sylvie le temps de quelques 160 pages. Et j'ai trouvé poignante sa façon de raconter l'après - le courrier qui continue à arriver pour la défunte, la vague culpabilité d'être toujours là et de reprendre un peu goût à la vie. "Veuf" est une touchante déclaration d'amour posthume, qu'on referme un peu mélancolique mais pas vraiment triste. Son sujet ne pouvait que me toucher, moi qui crains tant que la mort m'arrache ceux que j'aime en général et Chouchou en particulier, et la pudeur élégante avec laquelle Jean-Louis Fournier a choisi de le traiter aurait dû emporter ma totale adhésion.

Pourtant, au milieu de ce très beau livre, un passage m'a coupée net dans l'élan qui me faisait tourner les pages à toute allure. "Moi qui ai souvent eu envie de te tromper, et pas seulement l'envie, est-ce que maintenant je peux te tromper sans te faire de chagrin, sans que tu le saches?".

Ma première réaction a été de m'indigner intérieurement. Quoi? Cet homme nous chante sur tous les tons à quel point sa femme était merveilleuse; il ne cesse de répéter qu'il n'était qu'un vermisseau comparé à elle et combien il lui est reconnaissant d'avoir consenti (on dirait qu'il ne sait pas trop pourquoi) à passer sa vie avec lui. Et malgré ça... il l'a trompée. Sans son consentement, peut-on supposer à l'allusion concernant un éventuel chagrin.

J'ai tenté de me raisonner. De me dire que chaque couple possède sa propre histoire et son propre fonctionnement, et qu'il ne m'appartient pas de porter un jugement moral sur les actions d'un homme dont je ne sais rien, hormis ce qu'il consent à dévoiler dans son livre. Mais pour être honnête, cette révélation a coloré toute la suite de ma lecture. Chaque fois que, par la suite, l'auteur vantait les nombreux mérites de son épouse, une petite voix dans ma tête lançait: "Mouais, ça ne t'a pas empêché d'aller voir ailleurs".

Et je m'en suis voulu. Je m'en veux encore de considérer qu'un véritable amour est forcément monogame; je m'en veux d'être, pour autant que je m'en défende, à ce point programmée par la morale judéo-chrétienne; moi qui me clame tolérante et libertaire, je m'en veux d'avoir laissé ma conception petite-bourgeoise du couple m'empêcher d'adhérer totalement à un récit si lumineux.

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