mercredi 21 mars 2012

"Les ignorants"



N'étant pas très fan de noir et blanc à la base, je ne crois pas que j'aurais prêté la moindre attention à ce gros volume si un libraire de chez Brüsel n'y avait pas collé un papillon "Coup de coeur". Et je serais passé à côté d'une très belle découverte. "Les ignorants", c'est le récit d'une expérience de vie et d'une initiation croisée. Etienne Davodeau, l'auteur, propose à son ami Richard Leroy, vigneron, de travailler bénévolement pour lui pendant un an pour s'initier aux mystères du vin et de sa fabrication. De son côté, il s'engage à faire découvrir à Richard son métier de dessinateur et le monde de l'édition.

ED: - Tu cherches donc des fûts neutres?
RL: - Mmh, c'est plus compliqué que ça. La barrique est un très bon outil de vinification. Mais il ne faut pas que son bois marque trop mon vin. Je cherche, disons, une neutralité active et bienveillante, tu vois?
ED: - Très bien. C'est comme le papier qu'on a choisi pour mes derniers bouquins en couleurs. Il est un peu ivoire. Il fausse donc mes teintes. Mais c'est ce que je veux, et je l'anticipe.
RL: - Ha ha, voilà. C'est marrant, ces analogies.

Qu'ont en commun un vigneron et un dessinateur de bande dessinée? A priori, pas grand-chose. A y regarder de plus près, l'essentiel: l'amour de l'artisanat et du travail bien fait. Richard Leroy est passionnant quand il parle de biodynamie, un concept dont j'ignorais tout jusque là. Son idée du vin, si respectueuse de la terre, m'a donné très envie de déboucher une bouteille de Clos des Rouliers. J'ai aimé suivre son travail au gré des saisons, sentir la plénitude qui se dégage de ce labeur très physique, goûter l'humanité et la chaleur du personnage. J'ai aimé aussi les belles rencontres qu'ils font, Etienne Davodeau et lui, avec d'autres vignerons ou d'autres dessinateurs également passionnés par leur métier.

Certes, j'ai un peu regretté l'absence de couleurs qui auraient rendu encore plus vibrantes ces belles images de nature, et aussi le lettrage à la main qui donne un côté brouillon à un récit par ailleurs très maîtrisé. Mais qu'importe. Il y a dans "Les ignorants" quelque chose de lent et de savoureux, une sorte d'harmonie intemporelle entre l'homme, son métier et son environnement. Une oeuvre qui se sirote à petites gorgées, comme un grand cru.

lundi 19 mars 2012

"The man who rained"



Depuis que son père a été emporté par l'un des cyclones qu'il traquait avec passion, Elsa n'est plus tout à fait elle-même - comme étrangère à sa propre vie. Plaquant son compagnon, son job et son appartement new-yorkais, elle part refaire sa vie dans une petite ville encerclée par les montagnes qu'elle a seulement aperçue depuis un avion des années auparavant.

Une fois installée à Thunderstown, elle découvre très vite que les habitants nourrissent des superstitions étranges en rapport avec la météo - par exemple, ils massacrent tous les chiens aux yeux bleus qui s'aventurent dans leurs rues pour éviter une nouvelle inondation. Alors qu'elle explore les environs, Elsa rencontre Finn, un jeune homme au corps entièrement glabre qui prétend porter une tempête en lui et qui, pour cette raison, vit en ermite parmi des milliers d'oiseaux en papier...

La véritable héroïne du roman d'Ali Shaw, c'est la météo dont chaque phénomènes adopte une forme tangible. Les rayons de soleil s'incarnent en nuées de canaris qui s'évaporent lorsqu'on tente de les capturer; les gouttes de pluie sont des scarabées qui éclatent dans la main; les ruisseaux de montagne donnent naissance à des poneys aux pattes écailleuses qui redeviennent eau en mourant. Par sa façon d'introduire une magie discrète dans le quotidien, "The Man Who Rained" m'a fortement rappelé les romans d'Alice Hoffman - notamment "The Ice Queen" dans lequel la foudre jouait un rôle prépondérant. J'ai aimé son style évocateur, son cadre intemporel et ses personnages tourmentés comme un ciel d'orage.

Il n'existe pour l'instant pas de traduction française de ce roman.

dimanche 18 mars 2012

"En cuisine avec Alain Passard"



Sur la lancée de "A boire et à manger", j'ai eu envie de découvrir l'autre grande bédé culinaire de ce début d'année 2012. Et je dois dire que j'ai nettement moins accroché, même si ma déception s'est atténuée au fil de ma lecture.

Il m'a fallu du temps pour m'habituer au dessin de Christophe Blain qui au départ me semblait un peu brouillon, comme inachevé. Ensuite, s'il est intéressant de découvrir le fonctionnement d'une cuisine de grand restaurant (en l'occurrence, l'Arpège, situé rue de Varenne à Paris), j'avais déjà lu assez de choses sur le sujet.

Par contre, le long passage sur une culture respectueuse des sols et permettant d'obtenir les produits les plus savoureux possible était vraiment passionnant. L'enthousiasme d'Alain Passard pour le légume, l'éloquence quasi lyrique qu'il déploie pour en parler font de lui un personnage hors du commun.

Au final, plus qu'une bédé culinaire, j'ai eu l'impression de lire une ode à la gloire d'un chef triplement étoilé. Ce n'était pas tout à fait ce que j'attendais, mais ce n'était pas dénué d'intérêt non plus. (Funambuline, elle, a carrément adoré.)

samedi 17 mars 2012

"David, les femmes et la mort"



David, la soixantaine passée, est un homme du genre taiseux. Quand il apprend qu'il a un cancer du larynx, il ne l'annonce pas tout de suite aux femmes qui l'entourent: sa deuxième épouse Laura, sa cadette de presque 20 ans; Myriam, la fille adulte issue de son premier mariage et qui vient juste de devenir mère à son tour; et Tamar, 9 ans, qu'il a eue avec Laura. C'est muré dans son silence qu'il affronte la chimio, l'épuisement, les vomissements et la nouvelle qui tombe comme un couperet: il ne lui reste que six mois à vivre. Il ne trouvera la force de dire à Laura combien il l'aime que par écrit, lorsqu'une opération l'aura privé de sa voix. Et c'est également par écrit qu'il demandera à Georg, son médecin et ami, de mettre fin à ses souffrances bien que l'euthanasie soit illégale dans leur pays.

Sans les critiques dithyrambiques lues ça et là, je n'aurais probablement jamais ouvert "David, les femmes et la mort" tant le dessin de Judith Vanistandael me rebute au premier abord. J'ai décidé de passer outre dans l'espoir que l'histoire, à tout le moins, en vaudrait la peine. Résultat: hier après-midi, j'essayais désespérément de cacher mes joues baignées de larmes au beau milieu de Filigranes, tandis qu'à la table derrière moi le propriétaire de la librairie et l'attachée de presse d'un quelconque évènement culturel discutaient stratégie publicitaire.

Ce n'est pas seulement le thème de ce roman graphique ni son issue qui m'ont bouleversée: c'est l'immense pudeur et la subtilité avec lesquelles l'auteur déroule des scènes puissamment émouvantes. Elle n'est pas dans le pathos; elle ne cherche pas à tirer des larmes faciles à ses lecteurs. Elle essaie juste de rester au plus près de la vie dans tout ce qu'elle peut avoir de douloureux, de révoltant mais aussi de drôle et de poétique, parfois. Et sa fin est absolument parfaite. Une double page avec juste cette eau sur laquelle David aimait tant naviguer. Une autre avec un portrait de lui, souriant, avant que la maladie commence à le diminuer. Non, ce n'est pas une oeuvre gaie. Mais elle est belle, et elle est vraie.

mardi 13 mars 2012

"Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire"



"Alors que tous dans la maison de retraite s’apprêtent à célébrer dignement son centième anniversaire, Allan Karlsson, qui déteste ce genre de pince-fesses, décide de fuguer. Chaussé de ses plus belles charentaises, il saute par la fenêtre de sa chambre et prend ses jambes à son cou. Débutent alors une improbable cavale à travers la Suède et un voyage décoiffant au cœur de l’histoire du XXe siècle. Car méfiez-vous des apparences ! Derrière ce frêle vieillard en pantoufles se cache un artificier de génie qui a eu la bonne idée de naître au début d’un siècle sanguinaire. Grâce à son talent pour les explosifs, Allan Karlsson, individu lambda, apolitique et inculte, s’est ainsi retrouvé mêlé à presque cent ans d’événements majeurs aux côtés des grands de ce monde, de Franco à Staline en passant par Truman et Mao..."

Allan Karlsson est une sorte de Forrest Gump suédois qui aurait considérablement vieilli et assez mal tourné. Après s'être évadé de sa maison de retraite, il vole une énorme valise qui s'avère appartenir à un gangster. Sa rébellion improvisée tourne alors au road trip dans une ambiance de polar loufoque et bourré d'humour noir. Premier roman de Jonas Jonasson, "Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire" m'a enchantée par son irrévérence et sa cocasserie. Si vous cherchez un bouquin original dont les pages défilent toutes seules, je vous le recommande chaudement.

vendredi 9 mars 2012

"The vintage tea party book"



Angel Adoree est la grande prêtresse britannique du vintage, et la patronne de la Vintage Patisserie où je rêve d'aller goûter lors de mon prochain séjour à Londres. Elle nous offre ici un guide aussi complet que magnifique de la parfaite organisatrice de tea time à l'anglaise. "The Vintage Tea Party Book" n'est pas seulement un recueil de recettes aux illustrations ravissantes; on y trouve aussi des cartons d'invitation à imprimer, des idées de shopping déco ou vêtements, trois patrons pour coudre son propre tablier, des conseils de maquillage, des explications pas-à-pas pour customiser un service en porcelaine, se faire une coiffure rétro ou confectionner un bibi. Avec ses photos qui font saliver, sa couverture découpée, son papier épais à l'odeur subtilement enivrante, cet ouvrage est un régal pour tous les sens et donne envie de se mettre immédiatement aux fourneaux.






dimanche 4 mars 2012

"Morphine"



Morphine travaille pour le professeur Hidestone, un éminent créateur de chimères. Obsédé par le travail du plus doué de ses pairs, Hidestone confie à la fillette le soin de localiser et lui rapporter les chimères issues de l'imagination du Grand Sphynx, qu'il étudie ensuite afin de percer leur mystère. Mais ce faisant, il enfreint les règles de la guilde Velvet et risque d'en être expulsé. Au terme d'une mission plus éprouvante que les autres, Morphine se retrouve assaillie par d'étranges papillons de nuit. Les visions qui la submergent alors vont la conduire à percer le mystère de ses origines...

"Quand Miyazaki rencontre David Lynch", clame la quatrième de couverture de "Morphine". Il est, à mon humble avis, quelque peu exagéré de comparer le premier roman graphique de Juliette Fournier à l'oeuvre de ces deux génies qui ont déjà une longue carrière derrière eux. Mais il faut bien admettre que le travail de cette jeune femme scénariste, dessinatrice et coloriste est ambitieux autant que prometteur. J'ai trouvé ses cases un peu plates, sa fin assez attendue; pourtant, elle sait créer un univers, instaurer une ambiance et mener sur 120 pages une histoire cohérente, sans temps mort ni passage à vide. Une auteure à suivre.

vendredi 2 mars 2012

"L'armoire des robes oubliées"



Atteinte d'un cancer foudroyant, Elsa est rentrée chez elle pour mourir au côté de Martti, son époux depuis plus d'un demi-siècle. Alors qu'elle lui rend visite, sa petite-fille Anna découvre dans un placard une robe passée de mode ayant appartenu à Eeva, l'autre grand amour de Martti qui faillit jadis prendre la place d'Elsa auprès de son mari et de leur fille unique, Ella. Passé et présent s'entremêlent tandis que chacune des quatre femmes revisite ses souvenirs et ses secrets, mettant à jour un écho troublant dans l'histoire d'Eeva et celle d'Anna...

Ca n'a pas été facile pour moi d'ouvrir un livre dont le thème premier semble être la fin de vie d'un parent rongé par le crabe. Mais je suis ravie d'avoir surmonté mon appréhension initiale - sans quoi, je serais passée à côté d'un très beau roman qui, malgré des thèmes douloureux, ne m'a déprimée à aucun moment. C'est que même lorsqu'elle évoque les différentes formes du deuil et le chagrin qui en découle, la plume de Riikka Pulkkinen garde quelque chose de solaire et d'apaisant. Alors que son style n'a rien de commun avec celui de Virginia Woolf (les critiques la comparent plutôt à Joyce Carol Oates), je me suis surprise plusieurs fois à penser à "Mrs Dalloway" au cours de ma lecture; et vingt fois au moins j'ai relu un passage en me disant: "Je devrais le citer dans mon article".

Pour son premier roman, cette Finlandaise d'à peine 30 ans manifeste une incroyable maturité dans la forme autant que dans le fond, une compréhension de la nature humaine qui est généralement l'apanage de gens beaucoup plus âgés. Elle ne juge aucun de ses personnages, se contentant de révéler leurs motivations parfois complexes et l'élan irrépressible qui les anime. "L'armoire des robes oubliées" n'est pas un roman d'amour, mais c'est un roman dont chaque page déborde d'amour et de vie, un roman au style riche et évocateur qui dégage une étrange impression de plénitude. En le refermant, je me sentais absolument sereine.