mercredi 20 mars 2013

"Le club des incorrigibles optimistes"


Michel Marini avait douze ans en 1959, à l'époque du rock'n'roll et de la guerre d'Algérie. Il était photographe amateur, lecteur compulsif et joueur de baby-foot au Balto de Denfert-Rochereau. Il y a rencontré Igor, Léonid, Sacha, Imré et les autres, qui avaient traversé le Rideau de Fer pour sauver leur peau, abandonnant leurs amours, leur famille et trahissant leurs idéaux. Ils s'étaient retrouvés à Paris dans ce club d'échecs d'arrière-salle que fréquentaient aussi Kessel et Sartre. Ils étaient liés par un terrible secret. Cette rencontre bouleversa la vie du jeune garçon. Parce qu'ils étaient tous d'incorrigibles optimistes. 

Oubliez le titre de ce roman - et la dernière phrase de sa quatrième de couverture. Ils font croire à des réfugiés joviaux malgré leurs déboires, à un de ces romans au ton ensoleillé qu'on referme le sourire aux lèvres. Or, il ne s'agit pas du tout de ça. "Le Club des incorrigibles optimistes" est un roman d'apprentissage ambitieux, qui raconte l'adolescence d'un jeune Français moyen dans les années 60: des choses légères comme sa fascination pour la petite amie de son frère aîné, les parties de baby-foot avec son meilleur ami, ses difficultés insurmontables en maths, son amour pour le rock'n'roll et la lecture ou sa découverte de la photographie, et d'autres plus graves comme le clivage entre sa famille paternelle communiste et sa famille maternelle petite-bourgeoise, l'impact de la guerre d'Algérie sur leur vie en métropole ou l'explosion du couple parental. 

Si elle constitue l'un des principaux éléments du roman, la rencontre avec les joueurs d'échecs n'en est toutefois pas l'unique sujet. Elle met d'ailleurs du temps à survenir. Par la suite, elle forme un contrepoint quelque peu glaçant aux mésaventures ordinaires du héros, avec un chapitre sur deux consacré à l'histoire forcément tragique d'un des réfugiés. Ces hommes qui ont tout perdu ne sont pas devenus admirables pour autant. Leur prétendu optimisme n'est qu'une expression de leur instinct de survie. Leur passé douloureux ne les met à l'abri d'aucune bassesse: il les rend juste plus désespérément lucides sur la nature humaine. 

Quant à Michel lui-même, c'est un narrateur sensible et attachant. Jean-Michel Guénassia lui prête la voix crédible d'un adolescent observateur et curieux de tout, dont les événements vont se charger d'éroder la naïveté initiale. On le suit avec tant de plaisir que les 730 pages du roman défilent toutes seules et que la fin, si émouvante soit-elle, survient quand même beaucoup trop tôt: on a envie de savoir ce qu'il devient entre cet été 1964 et l'année 1980 où, dans le tout premier chapitre du livre, il retrouve à l'enterrement de Sartre un des joueurs d'échecs perdus de vue depuis lors.

J'ai adoré la façon dont "Le club des incorrigibles optimistes" mélange l'histoire personnelle et familiale de son héros avec l'Histoire, non seulement de la France et d'une de ses colonies, mais du bloc soviétique pendant une phase cruelle de la guerre froide. Non, ce n'est pas un feel-good book... mais un page-turner, certainement.

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