mardi 25 février 2014

"L'incroyable histoire de Wheeler Burden"


Dernier descendant d'une lignée de banquiers ultra-conservateurs, fils d'un héros de la Seconde Guerre Mondiale mort aux mains de la Gestapo peu avant le Débarquement, Wheeler Burden a été tour à tour un prodige du baseball et une rock star adulée par les foules avec son groupe Shadow Self. Puis il a brusquement disparu de la vie publique, ne sortant de sa réclusion que pour promouvoir le livre qu'il venait d'écrire à partir des notes d'un de ses anciens professeurs. Alors qu'il fait la tournée des petites librairies d'Amérique, il bascule brusquement dans le passé et se retrouve à Vienne au crépuscule du dix-neuvième siècle - un lieu et une période qu'il connaît bien en théorie, puisqu'ils sont justement le sujet son ouvrage... 

Comment parler d'un bouquin qu'on a trouvé génialissime, quand le moindre détail qu'on pourrait révéler constituerait un affreux spoiler? "L'incroyable histoire de Wheeler Burden" m'a intriguée parce qu'il parlait de voyage dans le temps (un de mes sujets préférés en littérature) et parce que son scénario se déroulait en très grande partie à Vienne, ville éminemment romantique que j'avais adoré visiter il y a dix ans. Mais s'il m'a emballée, c'est d'une part grâce à sa construction habile qui mêle le présent et le passé du héros, révélant au compte-gouttes son histoire personnelle et celle de sa famille, d'autre part grâce aux coups de théâtre qui se succèdent en provoquant des réactions différentes à chaque fois. Le premier: on ne le voit pas venir, et on se dit qu'il pourrait bien donner une nouvelle dimension à l'affaire. Le deuxième: on s'en doutait un peu, mais on se demande comment le héros va gérer la difficulté. Le troisième: on commence à se dire que l'auteur abuse. Et puis le fil de l'histoire se déroule, et on se prend à admirer la boucle parfaite qu'il a créée, ce paradoxe temporel ultime. La fin inéluctable m'a rappelé l'aspect le plus poignant d'un de mes romans préférés: "Le temps n'est rien" (en VO: "The time traveller's wife") d'Audrey Niffenegger; j'y suis même allée d'une petite larme. 

Par ailleurs, Selden Edwards apporte un très grand soin à reconstituer l'atmosphère de Vienne à la fin du dix-neuvième siècle: l'opulence bourgeoise d'un côté, la misère des travailleurs de l'autre; la culture des cafés; le bouillonnement intellectuel illustré par les travaux de Freud et par la Jung Wien, mais aussi le clash entre les diverses communautés, la montée de l'antisémitisme et les prémices de la chute de l'empire austro-hongrois. Nombreux sont les personnages célèbres de l'époque à faire une apparition dans les pages du roman, et si l'on peut trouver ce défilé de people quelque peu forcé, l'histoire est de toute façon si rocambolesque mais si plaisante que l'on suspend volontiers son incrédulité pour se laisser entraîner dans le tourbillon des folles aventures de Wheeler Burden. Deux choses sont à signaler toutefois: le démarrage peut paraître assez lent (même si chacun des faits exposés dans les premiers chapitre prendra son importance plus tard), et les avis des clients Amazon sur la traduction française ne sont guère élogieux. Personnellement, j'ai lu "L'incroyable histoire de Wheeler Burden" en VO, et si vous avez un bon niveau d'anglais, je vous conseille d'en faire autant. 

dimanche 23 février 2014

"N'aie pas peur si je t'enlace"


Un voyage de 38 000 kilomètres, qui commencera par la traversée des Etats-Unis en Harley Davidson. C'est cela que Franco Antonello souhaite pour le dix-huitième anniversaire de son fils, diagnostiqué autiste à l'âge de trois ans. Andrea est un ouragan imprévisible. Lorsqu'il marche, c'est sur la pointe des pieds. Les objets, il les aime rangés dans un ordre méticuleux. Quand il veut savoir qui il a en face de lui, il l'enlace afin de sentir ce que l'autre a dans le ventre et pour cette raison, ses parents ont inscrit sur ses T-shirts: "N'aie pas peur si je t'enlace". 

Ce voyage se fera, à travers les Etats-Unis et jusqu'en Amérique latine, bien plus inattendu que prévu... Sous le regard étonné et teinté d'humour du père, Andrea caressera les crocodiles, communiquera avec les chamans indiens, embrassera les jeunes filles... et enseignera à son père à se laisser aller à la vie. Il fera de cette expérience une aventure épique, difficile et grisante, imprévisible et captivante. Comme lui qui dit vouloir devenir, malgré tout, un Terrien.

"N'aie pas peur si je t'enlace" est une histoire vraie, retranscrite à la première personne par l'écrivain italien Fulvio Ervas suite à une année d'entretiens avec Franco Antonello. C'est le récit joyeux et bouleversant à la fois d'un voyage initiatique aussi bien pour le père que pour le fils, une immersion dans la vie d'un parent d'autiste, une suite de paysages fabuleux et de rencontres incroyables, une grande aventure humaine à de multiples niveaux. Franco Antonello est un père plein de bonne volonté, parfois émerveillé par la poésie du monde  dans lequel vit son fils, parfois atrocement frustré et inquiet pour l'avenir, mais toujours débordant d'un amour immense. J'ai lu ce livre parce que j'étais intéressée par l'aspect road trip, tout en craignant d'être rebutée par la composante relations familiales/autisme, et au final, c'est elle qui donne toute sa saveur et sa richesse à "N'aie pas peur si je t'enlace". Un énorme coup de coeur.

vendredi 21 février 2014

"Comment nourrir un régiment"


Etienne Gendrin raconte en bande dessinée la vie de sa grand-mère Anne-Marie, qui fut en son temps reçue première au concours de l'institut agronomique dans une promotion dont elle était la seule femme, et qui plus tard devint la mère au foyer de 9 enfants. Très attirée par le titre et la lecture des premières pages de "Comment nourrir un régiment", j'ai cru tenir là une nouvelle pépite qui viendrait enrichir ma collection de littérature culinaire. En réalité, on est plus proche des "Chroniques de la vigne" de Fred Bernard que du "A boire et à manger" de Guillaume Long. En guise de recettes illustrées, il s'agit de souvenirs liés aux repas familiaux, assez délayés dans les souvenirs d'ensemble de l'aïeule. Les dessins à l'aquarelle sont sympathiques sans plus. Au final, ce qui ressort surtout de la lecture de "Comment nourrir un régiment", c'est l'amour d'un petit-fils pour son énergique mamie. Ce qui n'est pas si mal, mais pas tout à fait ce que je cherchais. 

dimanche 9 février 2014

Humans of New York


En 2010, Brandon Stanton s'installe à New York avec une idée en tête: photographier les habitants de chaque quartier afin de dresser une sorte de carte humaine de la ville. Son site peine d'abord à trouver une audience; c'est la création d'une page Facebook associée qui le fera exploser jusqu'à atteindre actuellement près de 3 millions de fans enregistrés. Ses sujets, il les choisit de tous les âges, de tous les genres, de toutes les races et de toutes les classes sociales. Certains sont vêtus de façon très banale; d'autres portent des tenues extravagantes ou auraient pu retenir l'attention du Sartorialist. De quelques minutes de conversation avec eux, Brandon tire des citations drôles ou surprenantes, des anecdotes poignantes ou inspirantes. 

Ici, un aspirant candidat à la présidentielle coiffé d'une botte en caoutchouc promet un poney gratuit à chaque Américain. Là, une fillette en pelisse grise très chic pose dans le hall du Plaza où elle passe son week-end d'anniversaire. Un vieil homme coiffé d'un béret et fumant un énorme barreau de chaise explique ce que c'est d'être adulte. Un anonyme brandit deux chichuahuas en tenue de gala complète, fraise et haut-de-forme inclus. Un Noir entièrement vêtu de rouge vif, depuis son turban jusqu'à ses chaussettes hautes en passant par son short, proclame qu'il est le sultan du Wisconsin. Un réfugié de l'ancienne Yougoslavie, qui a mis douze ans à décrocher un diplôme d'études supérieures tout en travaillant comme concierge à Cambridge, arbore fièrement sa robe et sa toque bleue. Deux jeunes Musulmanes coiffées d'un foulard font du bénévolat après le passage de l'ouragan Sandy. Un travesti habillé en licorne rose à paillettes se déhanche crânement. Un couple seul au monde s'enlace au milieu de l'agitation de Grand Central. Un vieil homme surnommé Banana George a été, à 92 ans, le doyen des skieurs nautiques pieds nus. Une femme en toque et manteau de fourrure, assise sur une chaise pliante rafistolée avec du scotch, peint sur une pelouse. Une petite fille en trottinette avance en tenant la main d'un vétéran en fauteuil roulant. Un jeune Asiatique se glisse dans une valise pour entrer en douce dans la pension non-mixte de sa petite amie. Du plus ordinaire au plus farfelu, ils composent une mosaïque extraordinairement émouvante que l'on peut retrouver dans cet ouvrage

A l'occasion de son 10ème anniversaire, Facebook a réalisé une petite vidéo qui retrace le parcours de Brandon et le montre à l'oeuvre sur le terrain:

 

jeudi 6 février 2014

"Allegiant"


Après les révélations survenues à la fin d'"Insurgent", qui ont fait exploser le système des factions et totalement bouleversé leur conception du monde, Tris, Tobias et une poignée de leurs amis décident de quitter la ville pour découvrir ce qui se passe à l'extérieur. Une fois de plus, la réalité se révèle assez différente de ce qu'on leur avait expliqué; une fois de plus, ils vont se retrouver acteurs d'un conflit dont les enjeux les dépassent... 

Le troisième et dernier tome de la trilogie "Divergent" présente une nouveauté majeure: cette fois, la narration est partagée entre Tris et Tobias. Cela permet, d'une part de couvrir davantage d'événements, et d'autre part, d'explorer intimement les pensées de l'autre personnage-clé de la série. Tris ayant surmonté les tourments intérieurs qui l'avaient rendue quasi suicidaire dans "Insurgent", c'est au tour de Tobias de péter les plombs. Terrifié à l'idée de devenir comme son père, il laisse ses doutes lui faire prendre de mauvaises décisions - avec des conséquences désastreuses. 

Si "Allegiant" révèle ce qu'on peut appeler "le tableau dans son ensemble", renouvelle le cadre de l'action et introduit une poignée de nouveaux personnages, ses thèmes demeurent ceux qui ont déjà été explorés jusque là: la vérité et le bien sont-ils toujours compatibles? Un gouvernement a-t-il le droit de manipuler une population dans l'intérêt général? A tous les niveaux, la fin justifie-t-elle les moyens? Veronica Roth introduit en outre une réflexion sur la pureté génétique qui sera le déclencheur de la plupart des événements. Ce n'est pas de la grande philosophie, mais c'est présenté d'une façon qui interpelle le lecteur sans lui dire ce qu'il doit penser sur le sujet, chose que j'ai trouvée très appréciable (d'autant que la série est, à la base, destinée à un public adolescent).

Apparemment, la fin a fait couler beaucoup d'encre et indigné énormément de fans. Pour ma part, je la trouve parfaite en tout point: pas trop attendue, dramatique à souhait, émouvante et surtout crédible. Ce n'était pas gagné d'avance, mais j'ai refermé "Allegiant" avec un sentiment de profonde satisfaction: malgré son style minimaliste, l'auteur venait de me raconter une vraie bonne histoire maîtrisée de bout en bout, avec des personnages forts, de l'action prenante, des thèmes intéressants et une atmosphère bien à elle. 

J'ai lu ce roman en VO. Sa traduction française sera disponible à partir du 15 mai. 

La trilogie "Divergent" est en cours d'adaptation au cinéma. Le premier film sortira sur les écrans le 9 avril. J'hésite à aller le voir: les deux acteurs qui ont été choisis pour incarner Tris et Tobias ne correspondent tellement pas à l'image que j'ai des personnages!


lundi 3 février 2014

"Insurgent"


"Insurgent" enchaîne directement après la fin de "Divergent", premier tome de la trilogie dystopique de Veronica Roth. La guerre est déclarée entre les factions. Assez vite, les Altruistes qui ont survécu au massacre s'allient avec les sans-faction et avec une partie des Audacieux. Leur objectif consiste à détruire les données que détiennent les Erudits, désormais protégés par l'autre moitié des Audacieux - ceux que Tris considère comme des traîtres. Mais en secret, Marcus Eaton, père abusif de Tobias et seul chef survivant des Altruistes, oeuvre pour diffuser les données en question au lieu de les détruire. Tris acceptera-t-elle d'aider cet homme qu'elle déteste au risque de perdre l'amour de Tobias et, peut-être, sa propre vie? 

Difficile de résumer l'action d'"Insurgent" sans dévoiler trop de choses. Ce qui est sûr, c'est qu'on n'a pas le temps de s'ennuyer une seule seconde! Les péripéties et les retournements de situation s'enchaînent à toute allure. Bousculés par les événements dramatiques qu'ils traversent, les personnages évoluent ou révèlent un visage caché jusque là. Car le vrai talent de Veronica Roth, c'est que dans sa série, il n'y a pas réellement de gentils ou de méchants. Chacun défend une conception différente du monde, et bien malin qui peut dire de quel côté se trouvent la vérité  et le Bien, ou même s'ils sont compatibles entre eux. Les dilemmes moraux se succèdent à un rythme effréné, et souvent, ils doivent être tranchés de façon cruelle, voire impitoyable.

La fin justifie-t-elle les moyens? La question est vieille comme le monde, et Veronica Roth ne prétend pas y apporter de réponse: elle se contente de montrer les choix que font les protagonistes, et les conséquences bonnes ou mauvaises de ces choix.  Si son univers peut sembler quelque peu simpliste (mais on verra qu'il existe une explication à ça), les enjeux du scénario, eux, sont aussi complexes que nuancés. Et si peu sympathique qu'elle soit, je n'ai pu m'empêcher d'être fascinée par la manière dont Tris apprend à surmonter le chagrin, la douleur et la terreur pour continuer à avancer vaille que vaille - au point de finir par la trouver carrément inspirante. Et d'enchaîner sur "Allegiant", troisième et dernier tome de la série, tout de suite après avoir refermé "Insurgent".

J'ai lu ce roman en VO et ne peux donc rien dire sur la qualité de sa traduction française.

dimanche 2 février 2014

"Sugar: Ma vie de chat"


Quand Serge Baeken raconte la vie de ses chats en dessinant le monde à leur hauteur, il produit rien moins qu'un chef-d'oeuvre. Les attitudes félines - attachantes, horripilantes ou incompréhensibles - sont dépeintes avec une grande justesse. Le graphisme basé sur des mosaïques de carrés est inventif et foisonnant, petit bijou de composition et vrai régal pour l'oeil. Le récit presque muet donne tour à tour envie de rire et de pleurer. Et le papier a une odeur juste fabuleuse. J'ai savouré "Sugar: Ma vie de chat" en m'attardant longuement sur chaque page pour admirer les dessins et en luttant contre la boule qui se formait dans ma gorge: Scarlett et Copernique me manquent tellement! C'est un album absolument magnifique. Jeudi 6 février en fin d'après-midi, je courrai chez Brüsel Flagey pour me le faire dédicacer et dire à son auteur combien il m'a touchée.