mercredi 19 mars 2014

"The museum of extraordinary things"


1911 est une année tumultueuse à New York. Tandis que les syndicats se révoltent contre les conditions de travail épouvantables imposées aux ouvriers, les riches se retranchent à l'abri des belles façades de la 5ème avenue. Deux incendies dramatiques surviennent presque coup sur coup: le premier dans une usine de vêtements où les couturières enfermées là par leurs patrons n'ont pas d'autre choix que de se jeter par les fenêtres ou de brûler vives, le second dans un gigantesque parc d'attractions de Coney Island où les flammes libèrent toute une ménagerie exotique que les forces de l'ordre sont contraintes d'abattre. Non loin de là, les flots de l'Hudson coulent noirs, glacés et insondables, à travers des marécages qui se dépeuplent rapidement de leur faune et seront bientôt grignotés par l'expansion implacable de la ville. 

Alors qu'il était enfant, Ezekiel Cohen a fui les pogroms en Ukraine avec son père. Désormais, il n'a plus que mépris pour cet homme brisé. Tournant le dos à sa foi, il se coupe les cheveux, se rebaptise Eddie et devient l'apprenti d'un photographe solitaire. Mais il a toujours eu un don pour retrouver les choses et les gens perdus. Après l'incendie du Triangle, un ami de son père vient lui demander de chercher sa fille Hanna, qui aurait dû travailler à l'usine ce jour-là mais ne s'est jamais présentée à son poste et a mystérieusement disparu. Une nuit, sur les bords de l'Hudson, Eddie croise la route d'une sirène qui se met à hanter ses rêves. C'est Coralie, la fille du sinistre professeur Sardie. Exposée comme un monstre dans son Musée des Créatures Extraordinaires, contrainte à s'exhiber de façon dégradante lors de soirées privées, elle ne rêve que de s'enfuir... 

Ca faisait très longtemps que je n'avais pas lu un roman d'Alice Hoffman, et je me demande bien pourquoi j'avais négligé cette auteure qui sait créer des atmosphères si particulières, à la fois tragiques et empreintes de magie. "The museum of extraordinary things"est une oeuvre dense, qui restitue son contexte historique à travers deux thèmes principaux: l'agitation sociale et l'opposition entre l'eau et le feu. Face à la violence des humains et des éléments, les deux héros sont, chacun à leur façon, en quête de leur identité et de leur place dans le monde. Ils ne les trouveront qu'en renonçant à ce qu'ils croyaient savoir de leurs propres origines. Autour d'eux, Alice Hoffman met en place toute une galerie de personnages secondaires frappants: les "monstres" du Musée, tellement plus beaux dans leur singularité, plus dignes dans leur vulnérabilité que le soi-disant scientifique qui les exploite; l'ermite du marécage qui a un loup pour animal de compagnie et une réputation d'homme dangereux, mais pleure en secret sa femme morte depuis des décennies; le cocher au passé criminel qui parle aux oiseaux et n'aspire plus qu'à se racheter; la servante rousse au visage brûlé à l'acide qui sert de mère à Coralie; l'homme-loup amoureux des livres; le Magicien de Manhattan, personnage charismatique qu'Eddie prend pour un charlatan mais qui ne l'est peut-être pas tant que ça; la fille de riche propriétaire que sa famille veut faire enfermer à l'asile parce qu'elle milite pour la cause des femmes et des ouvriers... Les deux incendies sont des scènes proprement hallucinantes. Celui de l'usine, avec les couturières qui se jettent par les fenêtres et Manhattan envahi par les cendres, rappelle de façon poignante les images du 11 septembre 2001. Celui du parc d'attractions, avec les animaux sauvages tout à coup libérés dans les rues en flammes de Coney Island, a une qualité presque surréaliste. Et bien que l'histoire se déroule il y a plus d'un siècle, l'opposition sanglante entre les riches et les pauvres trouve hélas bien des échos dans l'actualité. Un roman riche et envoûtant à plus d'un titre.

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