jeudi 24 juillet 2014

"Daisy: lycéennes à Fukushima"




Un mois après le tsunami de mars 2011, Fumi, qui était restée terrée chez elle jusque là, fait sa rentrée en terminale dans un lycée de la ville de Fukushima. Elle y retrouve les trois amies avec qui elle a formé le groupe Daisy. Moé, sage fille de député à qui ses parents font apprendre l'origami, joue de la batterie parce que c'est ce qu'elle a trouvé de plus éloigné d'elle. Mayu, issue d'une famille d'agriculteurs, se préoccupe avant tout de son look et rêve de devenir vendeuse au magasin 109, à Tokyo. Aya, fille d'un couple d'aubergistes qui ont changé leur établissement en refuge, raffole de mangas gays et accumule les heures de bénévolat auprès des enfants. Bien que très différentes les unes des autres, les quatre filles sont liées par leur amour pour la musique et par une amitié profonde. Mais la récente catastrophe nucléaire a bouleversé leur univers d'ados insouciantes et mis à mal leurs rêves d'avenir...

Je ne vais pas tourner autour du pot: ce manga en deux tomes de Reiko Momochi est un chef-d'oeuvre absolu. Pour construire son récit, l'auteure s'est appuyée sur les témoignages de rescapés du tsunami et de réfugiés de la région de Fukushima. Résultat: son histoire est criante de vérité, avec des phrases-choc toutes les deux ou trois pages. Elle dit le quotidien des gens confrontés à un ennemi invisible et insidieux - les radiations -, ignorant à quel point leur futur va en être affecté, des gens que le reste du pays traite en pestiférés (le petit ami tokyoïte d'une des fille la largue parce qu'il ne veut pas d'une future épouse en mauvaise santé; les clients du père de Mayu cessent d'acheter son riz pourtant certifié propre et le qualifient d'assassin), des gens partagés entre l'amour qu'ils portent à leur foyer ou leur région et l'envie de s'en aller le plus loin possible, des gens qui s'efforcent de prendre soin des plus démunis qu'eux et font preuve d'une solidarité bouleversante alors même que le gouvernement fuit ses responsabilités et tente de les endormir avec de belles paroles. Reiko Momochi n'est d'ailleurs pas tendre envers les autorités japonaises, qu'elle accuse ouvertement de crime envers la population. 

Pourtant, malgré une situation plus que plombante, elle réussit à insuffler une belle énergie à son histoire, à faire fleurir des pâquerettes fragiles mais obstinées dans la terre contaminée de Fukushima. Ses héroïnes gèrent toutes leur angoisse d'une façon différente: submergée par la honte et le chagrin, l'une tente de se suicider tandis que l'autre décide de se battre pour la survie de l'entreprise familiale et la réputation de son département. Afin de ne pas se laisser anéantir par la précarité de leur existence à un âge où elles devraient avoir toute la vie devant elles, Fumi, celle qui se pose le plus de questions, apprend à vivre "ici et maintenant" - à savourer tous les petits bonheurs qui passent à sa portée pendant qu'elle le peut encore. Pendant leur dernière année de lycée, chacune des quatre filles cherche son chemin bien plus encore qu'elle ne devrait le faire à l'orée de sa vie d'adulte. Et même irrémédiablement marquée par la catastrophe, chacune finit par trouver la paix intérieure. Oeuvre forte et émouvante à mettre entre toutes les mains (mais particulièrement celles des grands angoissés comme moi), "Daisy: lycéennes à Fukushima" est une ode à l'extraordinaire résilience de l'être humain et au pouvoir de la solidarité, en même temps qu'une série de beaux portraits de jeunes femmes confrontées à une épreuve dont elles sortent grandies. 

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