mardi 9 septembre 2014

"Le ruban"


Ca commence comme un conte. Une grand-mère fantasque et passionnée d'oiseaux trouve un oeuf tombé du nid, le met à couver dans son chignon et donne à l'oiseau qui éclôt le nom de Ruban - car cet oiseau, explique-t-elle solennellement à sa petite-fille, est le ruban qui nous relie pour l'éternité". Un jour, l'oiseau s'envole et pour les personnes qui croisent son chemin, il devient un signe d'espoir, de liberté et de consolation. 

En fait de roman, "Le ruban" est plutôt une collection de nouvelles reliées par le fil rouge de l'oiseau: des instantanés de vie dont les protagonistes sont dans la peine. Ruban surgit dans leur existence, parfois pour quelques instants - vision fugace dans le ciel -, parfois pour des années de compagnie fidèle. Quand il les quitte, la paix est revenue dans leur coeur.

D'abord un peu désarçonnée par cette structure, car je suis toujours frustrée de quitter un personnage que je viens à peine d'apprendre à connaître, j'ai fini par apprécier la brièveté des récits qui ne sont pas là pour montrer des trajectoires entières, mais juste des moments-clé. Bien entendu, certains m'ont touchée davantage que d'autres. Ce qui m'a le plus frappée néanmoins, c'est la sérénité des protagonistes par rapport à ce que nous considérons en Occident comme dramatique (vieillesse, maladie, mort), contrastant avec la vivacité des émotions que leur procurent des choses minuscules auxquelles nous, nous ne ferions pas attention.

Après "Le restaurant de l'amour retrouvé", dont l'histoire et l'atmosphère m'avaient séduite malgré un style un peu pauvre, Ito Ogawa livre un nouvel ouvrage à la sensibilité à la fois typiquement nippone et tout à fait personnelle.

vendredi 5 septembre 2014

"L'empreinte de toute chose"


Alma Whittaker naît avec le XIXème siècle à Philadelphie, d'un père anglais dont le talent de botaniste et la roublardise lui ont permis de faire fortune dans le commerce du quinquina et d'une mère qui tient de sa famille de l'Hortus Botanicus d'Amsterdam une formidable érudition ainsi qu'une rigueur toute hollandaise. A leurs côtés et au contact des éminents chercheurs qui gravitent autour d'eux, Alma acquiert une intelligence éclectique et l'amour de la botanique. 

En grandissant, elle se passionne pour les mousses puis pour Ambrose Pike, illustrateur de génie. Comme elle, il cherche à percer les secrets de l'univers mais, à la logique scientifique d'Alma, il préfère une pensée ésotérique: un fossé qui les éloignera inexorablement et poussera enfin Alma à partir à la découverte du vaste monde. Alors que les terra incognita s'amenuisent de jour en jour, Alma explore les continents, la nature, la société dans laquelle elle vit et son propre corps - de l'infiniment grand à l'infiniment petit. 

J'ai longtemps hésité avant d'acheter ce roman d'Elizabeth Gilbert. J'avais adoré son mémoire "Mange, prie, aime" pour sa grande sincérité et son côté hyper inspirant, mais l'écriture en elle-même ne m'avait pas marquée, et je craignais que l'auteure n'excelle pas dans le registre de la fiction. Sans compter que la botanique n'est pas un sujet qui m'inspire beaucoup à la base. Mais à force de lire des critiques dithyrambiques sur "L'empreinte de toute chose", j'ai fini par craquer. Résultat: une des lectures les plues prenantes de cette année 2014. 

Par où commencer pour expliquer le plaisir que m'a procuré ce roman? D'abord, contrairement à ce que je craignais, le style est magnifique, assez recherché pour refléter l'époque à laquelle l'histoire se déroule et néanmoins d'une grande fluidité. Ensuite, j'ai été très agréablement surprise par la variété des sujets abordés. Elizabeth Gilbert a dû passer un temps considérable à se documenter pour écrire "L'empreinte de toute chose". Qu'elle évoque les expéditions du capitaine Cook, le courant abolitionniste ou l'évolution de la pensée scientifique au XIXème siècle, elle prend toujours soin de respecter la vérité historique et d'intégrer ces éléments à son récit de façon à instruire le lecteur sans l'ennuyer. 

Cette plume déliée et ce foisonnement d'informations se mettent au service d'un destin exceptionnel, celui d'une femme à l'esprit remarquable mais au caractère parfois égoïste et intransigeant. Naturaliste émérite au physique peu avenant, Alma Whittaker est tourmentée d'abord par un amour à sens unique, puis par des appétits charnels d'autant plus dévorants qu'elle n'a personne avec qui les assouvir. La seule chose qu'elle sait faire, c'est vivre en recluse dans la propriété familiale où elle mène d'inlassables recherches sur les mousses. Il lui faudra attendre d'avoir, à l'aube de la cinquantaine, perdu presque tous ses proches pour renoncer à ses possessions matérielles et s'embarquer sur un navire à destination de l'autre bout du monde. A l'âge où la plupart des gens considèrent leur vie comme déjà faite et se contentent de poursuivre sur leur lancée, Alma remet courageusement en question jusqu'à ses certitudes les plus intimes. Et bien que son histoire soit très éloignée de la mienne, son cheminement a su me captiver et m'émouvoir. 

J'ai lu ce livre en anglais et ignore quelle est la qualité de la traduction française. 

mardi 2 septembre 2014

"Trente-six chandelles"


Allongé dans son lit en costume de deuil, ce 15 février, à l'heure de son anniversaire, Mortimer Decime attend sagement la mort car, depuis son arrière-grand-père, tous les hommes de sa famille sont décédés à 11h du matin le jour de leurs 36 ans.

Oui mais voilà, rien ne va se passer comme prévu - et Morty, qui se sachant condamné n'avait jamais osé faire le moindre projet amoureux ou autre, se retrouve tout à coup face à la perspective étourdissante d'une vie pareille à une ardoise blanche, une vie que ne marque plus aucune fatalité et dont il pourrait faire ce qu'il veut. 

Mais que veut-il, au juste? 

Et pourquoi a-t-il échappé à la malédiction familiale?

J'avais découvert Marie-Sabine Roger avec le bouleversant "La théorie du chien perché", et été beaucoup moins séduite par "La tête en friche", plein de bons sentiments mais un poil creux à mon goût. "Trente-six chandelles", qui vient juste de paraître, m'a attirée grâce à sa couverture poétique et sa présentation intrigante. Je l'ai lu presque d'une traite avec beaucoup de plaisir. On y retrouve une humanité parfois facile mais souvent touchante, ainsi que l'humour gouailleur, les personnages secondaires colorés, la fantaisie et la bienveillance qui caractérisent l'univers de l'auteur. En prime, l'histoire rocambolesque de Mortimer pousse, mine de rien, le lecteur à se demander s'il fait bon usage du temps qui lui est imparti. Et si Carpe diem est une leçon très souvent rabâchée par la littérature et le cinéma, c'est qu'il en existe peu d'aussi pertinentes. Une lecture qui fait du bien.