jeudi 22 décembre 2016

"Une fille au manteau bleu" (Monica Hesse)


Amsterdam, début 1943. Hanneke Bakker, 18 ans, profite de son physique d'aryenne pour trafiquer au marché noir et nourrir ainsi ses parents qui ne peuvent plus sortir de chez eux. Marquée par la mort au front de son petit ami Bas, elle ne veut se soucier de personne ni de rien d'autre que de survivre à la guerre. Mais un jour, Mme Janssen, une de ses clientes, lui demande de l'aide pour retrouver une adolescente juive qui s'est mystérieusement volatilisée du placard dans lequel elle la cachait. D'abord réticente à prendre des risques pour une inconnue, Hanneke finit par accepter de se lancer dans une enquête qu'elle traite comme une recherche de produit rare. Amenée à côtoyer de jeunes Résistants qui lui ouvrent les yeux, elle va finir par remettre en cause sa vision des choses et son attitude...

Pour son premier roman, la journaliste Monica Hasse livre un récit très bien documenté sur l'époque et le lieu en lesquels il se déroule. Le parcours de son héroïne endurcie par les circonstances lui sert de prétexte pour évoquer des sujets universels comme la frontière très mince qui sépare le courage de la lâcheté et les héros des salauds. Malgré son jeune âge, Hanneke est déjà hantée par des souvenirs qui ressurgissent au fil des chapitres, sculptant sa personnalité en un camaïeu d'ombre et de lumière. J'ai trouvé dommage que son enquête repose sur une telle série de coïncidences, mais au final, la crédibilité de sa progression n'a que peu d'importance comparée au cheminement mental de Hanneke qui, en revanche, est d'une justesse presque douloureuse. Si ça ne tenait qu'à moi, je ferais lire "Une fille au manteau bleu" à tous les adolescents qui s'interrogent sur la situation des réfugiés ou peine à comprendre la raison pour laquelle, plus 70 ans après la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, il convient toujours de s'inquiéter de la montée de la haine et des fascismes de tous horizons. 

"Je ne sais pas dans quel état je suis. Cette livraison fait partie de toutes cette succession d'engagements que je ne tenais pas à prendre. Mais il faisait si sombre dans ce théâtre et Regina était si petite, et nous pouvons faire si peu de choses, tous autant que nous sommes. Que suis-je censée répondre? Qu'elle aurait dû laisser Regina à la crèche pour qu'elle soit déportée? Que suis-je censée croire? Que cela vaut le coup de prendre des risques rien que pour sauver Mirjam, parce que c'est elle seule qu'on m'a chargée de retrouver? Que je serai capable d'oublier ce que j'ai vu au centre de déportation?" 

"Je ne vois pas en quoi ce que je pense d'Amalia, en bien ou en mal, importe à Mirjam. Elle ne me connaît même pas. Sauf que, l'idée me traverse l'esprit, ça m'importerait s'il s'agissait de moi ou de mes amis, de nous tous - Bas, Elsbeth, Ollie, moi. J'aurais à coeur que quelqu'un comprenne que nous avons été faibles, eu peur et agi du mieux que nous pouvions dans cette guerre. Nous étions entraînés par des événements qui nous dépassaient. Nous ne savions pas. Nous ne l'avions pas voulue, cette guerre. Nous n'y étions pour rien." 

lundi 19 décembre 2016

"Le chameau ivre" (Alma Rivière)


"La carte mondiale des vins omet le plus souvent un endroit appelé l'Iran. Les gens qui créent ces cartes ont tendance à le voir comme un pays musulman et donc sec. Le fait que beaucoup d'Occidentaux pensent que nous autres Iraniens allons travailler à dos de chameau doit certainement jouer aussi. Je voudrais clarifier deux points. D'abord, la plupart des Iraniens n'ont jamais utilisé de chameaux pour aller travailler, même au 1er siècle après l'hégire. Ensuite, même les chameaux boivent du vin dans mon pays."

Ainsi débute "Le chameau ivre", recueil d'une vingtaine de textes courts narrés à la première personne par des Iraniens anonymes. L'auteure y aborde des sujets qui semblent familiers au premier abord: l'alcool et l'ivresse, les manifestations, les walkmans d'autrefois, une recette traditionnelle, une chemise à repasser, une IVG, le bruit d'une petite moto, l'arrivée d'internet, un vol international... Mais sous une dictature, chacune de ces choses ou presque peut soudain prendre un tour sinistre, d'une violence presque irréelle et certainement incompréhensible pour qui a grandi dans un pays libre. Moi qui ne connaissais pas grand-chose à l'histoire de l'Iran, j'avoue avoir été choquée par la dureté de certaines situations. Heureusement, quelques nouvelles disséminées parmi les autres créent des respirations au milieu de l'horreur, des pauses pleines d'une nostalgie bienfaisante ou d'un hédonisme universel. On referme "Le chameau ivre" un peu moins ignorant mais un peu plus hébété à la pensée de ce qui se passe chaque jour pas si loin de chez nous.

Ce recueil m'a été gracieusement envoyé par son éditrice, que je remercie ici. 

dimanche 18 décembre 2016

"La maison des morts" (Sarah Pinborough)


Cent ans qu'il n'a pas neigé en Angleterre. Cent ans qu'aucun Défectueux ne s'est plus transformé. Aujourd'hui, il est devenu très rare qu'une analyse de sang révèle, chez un sujet âgé de moins de dix-huit ans, la présence du mal qui peut le faire basculer en l'espace de quelques jours. Toby et ses camarades font partie d'une poignée de malchanceux arrachés à leur famille, drogués et amenés en camionnette noire jusqu'à l'île déserte où se dresse la maison des morts. Encadrés par des infirmières et des professeurs indifférents à leur sort, ils trompent tant bien que mal leur terreur en attendant le jour où les premiers symptômes se manifesteront et où on viendra les chercher en pleine nuit pour les emmener au sanatorium dont nul ne revient jamais...

De la nature exacte du mal qui emporte les jeunes protagonistes, du contexte dans lequel il a émergé autrefois, de la façon dont le sanatorium a été créé et des objectifs du personnel qui y travaille, on ne saura jamais rien. La maison des morts est un prétexte, un cadre isolé et hors du temps où des adolescents privés de tout ce qui avait fait leur vie jusque là doivent trouver un moyen d'affronter leur fin imminente sans l'aide d'aucun adulte, ni même de leurs camarades qui évitent de tisser tout lien affectif pour mieux se protéger. Répartis par dortoirs, ils ont développé une sorte d'esprit de meute, et c'est à ceux qui tiendront le plus longtemps sans encaisser de perte dans leurs rangs. Jusqu'au jour où débarque Clara, qui pense que tout le monde va mourir de toute façon et que l'important, c'est la façon dont on vit chaque jour. L'amour lumineux qui naît entre elle et Toby va radicalement transformer l'existence de ce dernier.

Evidemment, avec un sujet pareil, "La maison des morts" ne peut pas être un livre très gai. Mais ce n'est pas non plus un livre sinistre, loin de là. Si cruel qu'en soit le contexte, si étouffante son atmosphère et si bouleversante sa fin, il remue le lecteur d'une façon très positive avec sa façon bien à lui d'aborder le thème du carpe diem. Ca faisait longtemps qu'un roman - jeunesse ou autre - ne m'avait pas autant happée et émue à la fois. En plus, l'édition française est de toute beauté avec sa couverture en dur et sa tranche teintée de noir. (Je ne peux par contre rien dire sur la qualité de la traduction étant donné que je l'ai lu en VO.) Si vous n'avez pas peur des ambiances plombées et que vous cherchez une lecture qui sorte un peu de l'ordinaire, je vous le recommande fortement.

jeudi 15 décembre 2016

"Billy Brouillard - Les comptines malfaisantes III: Histoires de chats" (Guillaume Bianco)


Après l'excellent volume 2 de son "Encyclopédie bizarre et curieuse" dédié aux chats, Guillaume Bianco remet le couvert avec un de ses sujets préférés. Cette fois, il choisit de présenter à sa façon cinq races félines: le Bombay, le Sphynx, le Persan, le Siamois et le Maine Coon, en développant une histoire courte sur chacun d'eux.

Le graphisme est toujours aussi joli; le ton général louvoie toujours finement entre cruauté et tendresse, sans oublier la dose obligatoire de fantastique et d'humour. Bref, pas de surprise avec ces "Histoires de chats", mais autant de plaisir qu'à la lecture de chaque tome de Billy Brouillard. Peut tout à fait être offert et lu indépendamment du reste de la série.





dimanche 11 décembre 2016

"13 Devil Street: 1888" (Benoît Vieillard)


Londres, 1888. Le jour de chacun des meurtres commis par Jack l'Eventreur, l'agitation règne au 13 Devis Street. Le rez-de-chaussée de cette maison bourgeoise est occupé par Tatoo, la vieille domestique sri lankaise qui voit au-delà du réel, et son époux écossais Douglas un peu trop porté sur la bouteille. Au premier étage vivent les Church. Monsieur dirige la plus grande fabrique de boutons du monde mais perd tout son argent au poker et espère marier sa fille dans la bonne société. Farouchement opposée à ce plan car elle a déjà un amoureux secret, Elizabeth est tourmentée par des visions médiumniques dues à son hypersensibilité. Au deuxième étage, le Dr. Freaks soigne même les pauvres sans leur demander d'argent et s'adonne corps et âme à la recherche scientifique pour soulager les maux de ce monde, pendant que sa ravissante épouse Peggy, ancienne artiste de cabaret, veille sur leur fils unique - le petit William que ses crises de somnambulisme amènent fréquemment à errer à la nuit dans toute la maison...

Sorti en 2015 sans grand tapage, "13 Devil Street:" est réédité en cette fin d'année 2016, ce qui m'a permis de le découvrir un peu par hasard et d'être immédiatement séduite par l'originalité de son concept. En effet, chaque double page montre l'intérieur de la bâtisse en coupe, un peu comme on pourrait regarder simultanément à l'intérieur de toutes les pièces d'une maison de poupée. Plusieurs actions se déroulent en simultané dans une ambiance à la fois policière, vaudevillesque et fantastique; il faut bien observer toutes les cases pour ne manquer aucun détail et comprendre de quelle façon les différentes histoires finissent par se rejoindre. Un bel  et gros ouvrage (plus de 320 pages!) qui devrait ravir même les amateurs de bédé les plus blasés. Je guetterai avec impatience le prochain volume dont l'action se situera en 1940.





lundi 5 décembre 2016

"Le livre du hygge" (Meik Wiking)


De deux choses l'une: ou vous n'avez jamais entendu parler du hygge et vous vous demandez avec curiosité de quoi traite ce livre, ou bien vous en avez déjà ras-le-bol du nouveau concept à la mode et vous levez les yeux au ciel en soupirant: "Oh non, elle ne va pas s'y mettre aussi". Disons que mon article s'adresse à la première catégorie de lecteurs!

Les Danois figurent régulièrement en tête du classement des peuples les plus heureux du monde. Difficile pourtant d'attribuer ça au climat merveilleusement tropical de leur pays. Alors, quoi? Alors, un excellent niveau d'égalité hommes-femmes, une démystification du travail en tant qu'objectif de vie et mesure de la valeur d'un individu, des prestations sociales d'une qualité qu'on ne retrouve pratiquement nulle part ailleurs (hormis dans les autres pays scandinaves). Et puis le hygge, cet art de vivre pour lequel il n'existe pas de terme équivalent en français. 

Le hygge, en gros, c'est cultiver la chaleur du foyer et des rapports humains - seul moyen de ne pas avoir envie de se suicider huit mois par an sous les latitudes danoises. Il nous est présenté sous toutes ses facettes par Meik Wiking de l'Institut de la Recherche sur le Bonheur situé à Copenhague. Celui-ci passe en revue l'importance de l'éclairage pour le moral, les plats et les boissons qui rendent heureux par temps froid (recettes à l'appui, évidemment), les vêtements les plus cozy, mais aussi le type d'événements sociaux qui entretiennent un esprit hygge: détendu, intime et sans compétition. Il propose des activités hygge, d'intérieur comme d'extérieur, pour tous les mois de l'année et pour tous les budgets, ainsi qu'un petit tour d'horizon des endroits les plus hygge à Copenhague. Etudes scientifiques à l'appui, il établit également un lien entre la pratique du hygge et le bonheur. 

Mais le plus chouette, c'est que son bouquin n'est pas juste intéressant et parfait pour aborder l'hiver de la meilleure des façons: il est beau et bien présenté, plein de jolies photos et de diagrammes ultra-clairs, ce qui en fait un de ces ouvrages-plaisir vers lesquels on aime revenir souvent en quête d'inspiration. Je trouve la couverture anglaise, rigide et embossée de dorures, beaucoup plus belle que la française, souple et ornée d'une illustration assez quelconque, mais pour ce que j'ai pu en voir, l'intérieur est le même (bien que je préfère aussi le type de papier et le format légèrement plus petit de l'édition anglaise).








dimanche 4 décembre 2016

3 livres de cuisine que je convoite en ce moment


S'il y a un rayon de librairie où je suis toujours émerveillée par les nouveautés, c'est bien le rayon cuisine. Les livres sont tellement beaux que pour un peu, on les achèterait juste pour les regarder. Sauf que pour quelqu'un qui s'efforce de suivre le chemin du minimalisme, ce ne serait pas très judicieux. Je sais que je n'aime pas passer du temps à préparer mes repas, et encore moins à pister des aliments exotiques à travers toute la ville. Mais comme tout le monde n'est pas aussi feignasse que moi, je vous présente trois ouvrages repérés récemment et qui m'ont beaucoup fait saliver:


Tout ce que je connais à la cuisine coréenne pour le moment, c'est le bibimbap (que j'adore) et le kimchi (qui me fait cracher des flammes par les nasaux). Mais j'aime l'aspect équilibré et les belles couleurs des plats proposés dans ces pages. Principes, ustensiles et ingrédients sont expliqués au début; la mise en page est claire et donne l'impression qu'exécuter une des recettes serait un jeu d'enfant. 





Dans la ligné de Gastrono Geek, des plats et desserts inspirés de tout un tas d'oeuvres de la culture populaire fantastique: Ma sorcière bien-aimée, Le monde de Narnia, Harry Potter... Les recettes sont très nombreuses et bien détaillées; elles semblent plutôt faciles à réaliser, et les illustrations font terriblement envie. De quoi composer un succulent repas à thème (pour Halloween plutôt que pour Noël, peut-être... encore que quand on aime, on ne se soucie pas des dates!).




Un des rares livres de cuisine que je possède est justement un livre de Clea, connue pour ses recette végétariennes et véganes aussi faciles que délicieuses. La soupe accompagnée de tartines est l'un de mes dîners préférés en hiver, et j'aimerais bien varier un peu mes classiques. Comme en plus, cet ouvrage est illustré par des photos incroyablement belles et poétiques, il n'est pas impossible que je finisse par craquer pour celui-là!

samedi 3 décembre 2016

"Tout plaquer et aller prendre un bain" (Mathou)


Vous cherchez une idée de cadeau "feel good" mais pas ruineux pour quelqu'un de votre entourage? Jetez-vous sur "Tout plaquer et aller prendre un bain" (sans oublier de le feuilleter vous-même avant de l'offrir, parce que ce serait dommage de vous en priver!). Il ne s'agit pas d'une bédé au sens où on l'entend d'habitude, dans la mesure où il n'y a pas d'histoire: c'est une collection de petits plaisirs quotidiens ou plus occasionnels, mignonnement illustrés par l'auteure du blog Crayon d'humeur à raison d'un par page. J'avoue que certains m'ont davantage parlé que d'autres. Ceux liés aux enfants me sont un peu passé au-dessus de la tête; par contre, j'ai adoré "Choisir le thé du soir", "Acheter des fleurs", "Rayer un truc sur sa To Do List", "Prendre un bain (même un jeudi à 15h32)", "Sniffer de la colle Cléopâtre" et beaucoup d'autres. Un ouvrage anti-morosité à mettre entre toutes les mains! 

mercredi 30 novembre 2016

"Le livre d'or" (Deborah Copaken Kogan)


Elles étaient colocataires à Harvard et sont toujours restées amies depuis la fin de leurs études. Addison, issue d'une riche famille WASP, a remisé son lesbianisme et ses prétentions artistiques pour faire trois enfants avec un écrivain qui n'écrit pas et ne s'occupe pas non plus de leur progéniture. Clover, métisse élevée dans une communauté hippie, est devenue directrice générale de Lehman Brothers, vient juste de se marier et aimerait bien avoir enfin un bébé. Mia a renoncé à sa carrière d'actrice pour devenir l'épouse au foyer d'un réalisateur de vingt ans plus âgé qu'elle, et cette vie lui convient si bien qu'elle vient de faire un quatrième enfant à la quarantaine passée. Jane, journaliste d'origine vietnamienne désormais installée en France, a perdu son mari grand reporter en Afghanistan il y a plusieurs années et vient juste de perdre sa mère adoptive d'un cancer; pendant qu'elle s'occupait de cette dernière, son nouveau compagnon l'a trompée, et elle n'arrive pas à le lui pardonner. La réunion des vingt ans de leur promo va être une occasion pour chacune de faire le point sur sa vie...

L'idée de suivre des amies de fac confrontées aux difficultés de la vie d'adulte est un grand classique de la littérature américaine. Récemment, on pense à "Les débutantes" de J. Courtney Sullivan qui a connu un beau succès en librairie. Rien de très original, donc, dans "Le Livre d'or", sinon les extraits de celui-ci intercalés entre les chapitres, dans lesquels chacun des protagonistes fait avec ses propres mots un bilan de sa vie durant les 5 ans écoulés depuis la réunion précédente. Pour le reste, il n'y a pas grand-chose à dire. La lecture est rapide et plutôt agréable, avec une fin chargée d'émotion sur le thème ultra-rabâché du "La vie est une pute et nous pouvons tous mourir du jour au lendemain, alors profitons pendant qu'il est encore temps". En somme, un bon bouquin de plage ou de train, mais pas plus.

lundi 28 novembre 2016

"La boutique Vif-Argent T1: Une valise pleine d'étoiles" (P.D. Baccalario)


Finley McPhee, treize ans, vit à Applecross, un minuscule village du nord de l'Ecosse où il ne se passe jamais rien. Ses parents élèvent des moutons, et les jours où il fait beau, le jeune garçon sèche l'école pour aller à la pêche avec son meilleur ami: son chien Chiffon. Jusqu'au jour où une mystérieuse boutique aux murs rouges, tenue par l'envoûtante Aiby Lily, apparaît sur la plage comme si elle sortait de nulle part... 

J'avoue: c'est la couverture, avec sa belle illustration et son enseigne embossée, qui a attiré mon attention en librairie. Et quand j'ai feuilleté ce premier tome de "La boutique Vif-Argent", j'ai été enchantée par les petits dessins qui en ornent les pages, ainsi que par les fiches d'objets magiques à la fin de certains chapitres. Restait la possibilité que ce soit mal écrit/traduit, ou que l'histoire soit inintéressante, mais ce n'est pas le cas du tout. J'ai adoré l'atmosphère d'Applecross (comme j'adore à peu près tous les bouquins qui se passent dans les highlands écossais), été intriguée par l'histoire originale de la boutique Vif-Argent et enchantée par les créatures et les artefacts mis en scène. Et si certains romans jeunesse pèchent par un style simpliste, ce n'est pas du tout le cas ici, où ni l'auteur ni la traductrice ne dédaignent un bon imparfait du subjonctif lorsqu'il se justifie. Bref, je suis plus que séduite, et la suite de cette série est déjà dans ma LAC (Liste A Acheter)! 




samedi 26 novembre 2016

"Les fabuleuses tribulations d'Arthur Pepper" (Phaedra Patrick)


Serrurier à la retraite, père de deux enfants adultes avec qui il n'a guère de contacts, Arthur Pepper mène une vie des plus routinières dans sa petite maison de la banlieue de York. Un an pile après la mort de sa femme bien-aimée, il se décide enfin à trier ses affaires... et au fond d'une botte, il découvre un bracelet en or garni de huit breloques. Certain de ne l'avoir jamais vu au poignet de Miriam, il se lance dans une quête pour comprendre l'origine de chacune des breloques - et découvre à sa femme un passé dont il ne soupçonnait pas l'existence. Connaissait-il vraiment la personne à côté de qui il a mené pendant quarante ans ce qu'il pensait être une vie conjugale réussie? 

Les voyages initiatiques ne sont pas réservés aux adolescents,  et il n'est jamais trop tard pour bousculer sa vie, clame Phaedra Patrick dans son premier roman. Certes, l'histoire n'est pas des plus réalistes; il faut plutôt la voir comme une fable moderne et bienveillante. En fouillant le passé mouvementé de sa femme, Arthur Pepper apprend autant de choses sur lui que sur elle, brise la routine dans laquelle il est englué et sort enfin de la coquille de son deuil pour se rendre compte que son existence de septuagénaire a encore beaucoup à lui offrir. Alors, malgré un style assez scolaire qui manque un peu de peps, j'ai pris plaisir à lire  "Les fabuleuses tribulations d'Arthur Pepper" (en anglais, de sorte que je ne peux rien dire au sujet de sa traduction française).

samedi 19 novembre 2016

10 suggestions de livres à offrir aux enfants de votre entourage pour Noël




A partir de 3 ans
L'imagier le plus fou du monde: Parce qu'il tellement magnifique que mêmes les parents se régaleront à le feuilleter. 
A l'intérieur des méchants: Si on ouvre un loup, un ogre ou une sorcière, que trouve-t-on dedans? Pas forcément ce à quoi on s'attend, comme le démontre ce très original pop-up book.

A partir de 5 ans
Bagnoles: Livre illustré montrant l'intérieur en coupe de divers véhicules tous plus farfelus les uns que les autres, avec des tas de détails marrants et des commentaires pleins d'humour. 
Un petit tour avec Mary Poppins: L'histoire de la célèbre gouvernante, illustrée en style ombres chinoises et en papier découpé d'une finesse incroyable. 

A partir de 7 ans
Un voyage en mer: Merveilleux pop-up book qui, sous prétexte de raconter un voyage transatlantique, montre différents modèles de bateaux en 3D papier. 

A partir de 9 ans
Anatomie: Pour les enfants curieux du fonctionnement du corps humain, un livre éducatif splendide qui présente ce dernier sous forme de couches de papier découpé superposées - les organes internes par-dessus le squelette par-dessus le réseau nerveux... 
Warren XIII - L'oeil qui voit tout: Très beau roman fantastico-gothique avec des illustrations en rouge et noir.
Les dragons de Château-Croulant: Roman loufoque écrit par Terry Pratchett, l'auteur des Annales du Disque-Monde.
Miss Dashwood, nurse certifiée - De si charmants bambins: Roman drôle et tendre mettant en scène d'intenables bambins français dont une parfaite nurse va devoir prendre l'éducation en main.
Avant l'ouragan: Roman émouvant dont l'héroïne orpheline, vivant dans l'un des quartiers les plus pauvres de la Nouvelle-Orléans, se trouve confrontée à l'ouragan Katrina. 

(Pour des idées de livres convenant à des ados, cliquez sur le tag "jeunesse" dans la colonne de droite.)

lundi 14 novembre 2016

"Warren XIII T1: L'oeil-qui-voit-tout" (Tania del Rio/Will Staehle)


Warren XIII, douze ans, descendant d'une longue lignée de Warren, est l'héritier de l'hôtel éponyme. Hélas, depuis que son père est mort cinq ans auparavant et que son fainéant d'oncle Raoul a repris la gestion, l'établissement périclite. En attendant sa majorité, Warren est relégué dans une mansarde et obligé par son horrible tante Annaconda de se charger de tout le ménage et l'entretien. Ses deux seuls amis sont le chef Pralin qui lui refile de bons petits plats en douce, et son tuteur le vieux M. Zéphyr qui vit retranché dans la bibliothèque. Mais un jour, un étrange personnage à la tête entièrement bandée débarque à l'hôtel Warren... 

Sur ces prémisses au croisement d'"Harry Potter" et de "La famille Addams", Tania del Rio bâtit une histoire fantastique délicieusement gothique, et surtout merveilleusement illustrée en rouge et noir par la talentueux Will Stahle. Immense et décrépit à souhait, l'hôtel Warren offre un cadre à l'atmosphère intrigante pour ces aventures d'un jeune héros au physique ingrat mais au caractère attachant. De l'amitié, du surnaturel, un mystère à élucider et un final spectaculaire feront de "Warren XIII: L'oeil-qui-voit-tout" un excellent cadeau de Noël pour les préados de votre entourage amateurs de ces genres.






dimanche 13 novembre 2016

"Chroniques de la fruitière" (Fred Bernard)


Trois ans après ses très réussies "Chroniques des vignes", Fred Bernard se voit proposer de reprendre le concept avec un autre produit du terroir: le comté! Durant une année entière, il va assister aux diverses étapes de la fabrication, rencontrer et interroger des producteurs et autres intervenants de la chaîne, apprendre à déguster en connaisseur puis rapporter tout ce qu'il a appris avec un savoureux mélange d'humour et d'émerveillement. On découvre avec lui que la filière du comté occupe une place un peu à part dans le monde agricole: restée très humaine avec sa structure coopérative, elle se porte paradoxalement (ou pas, en fait...) beaucoup mieux que l'ensemble du secteur. On a plaisir à voir la passion communicative que chacun des artisans met dans son travail, et on referme ce gros ouvrage exhaustif avec une seule envie: celle d'un verre de vin et d'un bout de fromage! 

"Un fromage comme le comté, c'est aussi le fruit d'une intelligence collective" (Pierre Parguel, "Chroniques de la fruitière")




jeudi 10 novembre 2016

"Je vois des antennes partout" (Julie Delporte)


Il y a deux ans et demi, j'avais lu et adoré le "Journal" dessiné de Julie Delporte. Alors, quand j'ai vu qu'elle avait sorti un nouveau récit biographique, je me suis immédiatement jetée dessus. Cette fois, l'auteur évoque, non pas sa vie de tous les jours en général, mais un problème bien particulier. Au printemps 2010, elle est toujours fatiguée et migraineuse; elle souffre aussi d'acouphènes, de sensations de brûlures, de chaud-et-froid et de tout un tas d'autres symptômes qui l'empêchent de réviser pour le concours qu'elle doit passer. Son médecin lui prescrit des antidépresseurs sans réellement pouvoir expliquer ce qui lui arrive. C'est dans un magazine que Julie trouve, tout à fait par hasard, une explication au mystérieux mal qui l'afflige: elle est électrosensible, perturbée par les ondes qui servent notamment à faire fonctionner les téléphones portables et le wifi. Or, en France, il ne reste pratiquement plus de zones blanches... Julie part donc au Canada, dans une cabane au fond des bois prêtée par la famille d'une amie, et elle s'interroge: comment vivre désormais dans un monde envahi par les antennes? Sur un sujet encore méconnu, un témoignage sincère toujours illustré aux crayons de couleur purs, dans un style plein de vie malgré le ton angoissé du récit.




mardi 8 novembre 2016

"The Cazalet chronicles T2: Marking time" (Elizabeth Jane Howard)


A la fin de "The light years", on laissait les Cazalet à l'automne 1938, soulagés que la Deuxième Guerre Mondiale ait été évitée. "Marking time" commence un an plus tard, alors que la famille rassemblée à Home Place écoute à la radio l'annonce du début du conflit. Personne ne peut prédire quelle ampleur il prendra, mais tout le monde se demande avec angoisse si l'Allemagne tentera d'envahir l'Angleterre. Si Hugh est désormais trop vieux pour s'engager, Edward pense rempiler dans la marine et Rupert, trop jeune lors de la Première Guerre Mondiale, compte bien se rendre utile cette fois malgré la farouche opposition de sa femme Zoë. Dans la génération suivante, les garçons n'ont pas encore l'âge de prendre part aux combats, au grand soulagement de leurs mères. Mais c'est sur les filles que l'auteur choisit de concentrer son attention. Toujours décidée à devenir actrice, Louise obtient d'être envoyée dans une école d'art dramatique. De deux ans plus jeunes que leur cousine, Polly et Clary se retrouvent coincées dans le Sussex, et ce qui avait d'abord des allures de vacances éternelles devient très vite d'un ennui mortel. Elles ne sont plus des enfants, mais les adultes les traitent toujours comme telles, et elles ont l'impression que la guerre a mis leur existence sur pause - que leur vraie vie ne pourra commencer qu'une fois la paix revenue...

Envolés l'insouciance du premier tome et les jours de lumière des vacances d'été à Home Place! Ce deuxième tome des "Chroniques des Cazalet" prend un ton bien plus grave. Pourtant, la guerre ne fait que servir de toile de fond au récit, et ses conséquences même sur certains membres de la famille ne sont abordées qu'indirectement. On reste dans le registre d'un quotidien certes bouleversé dans certains aspects mais pas fondamentalement différent, des pensées et des émotions disséquées avec une finesse remarquable. L'étude psychologique des trois jeunes filles est toujours aussi juste et captivante. Ma plus grande sympathie va à Clary qui souhaite devenir écrivain et trépigne de ne pas pouvoir, en ces circonstances, acquérir l'expérience de la vie dont elle aurait besoin pour nourrir sa créativité.

"I think it's awfully difficult for people our age. We need people to be in love with, and we're simple hemmed in by relatives and incest doesn't seem to go with modern life. We'll just have to wait."

"What I find peculiarly irritating is that nobody will say what rape actually is. If there's a danger of it, I really do think we ought to have some idea of what we're in for. But they simply won't say. It's part of this family's determination not to talk about anything that they think is at all unpleasant."

J'aime aussi beaucoup la gouvernante Ms Milliment, pauvre, laide et vieillissante, mais cultivée, ouverte d'esprit et si sympathique! Mieux que les domestiques, qui apparaissent toujours comme des êtres frustes et peu intéressants, elle illustre ce que pouvait être à l'époque la vie d'une femme seule n'ayant pas eu la chance de naître au sien d'une famille riche comme les Cazalet. La condition féminine est d'ailleurs souvent abordée dans la série, même si pas très frontalement. Ce deuxième tome confirme l'excellente impression que m'avait fait le premier. Si vous êtes anglophone et que les thèmes de la série sont susceptibles de vous intéresser, foncez: vous ne le regretterez pas!

vendredi 4 novembre 2016

"Le loup en slip" (Wilfrid Lupano/Mayana Itoïz/Paul Cauuet)


Dans la forêt, tout le monde a peur du loup. C'est l'unique sujet de conversation, le fondement même de l'économie locale. Et puis un jour, le loup descend de sa colline. Il porte un slip rayé, avec une petite poche sur le côté pour mettre son filet à provisions quand il va faire son marché, et non, il n'a rien à voir dans la disparition des trois petits cochons. Ce qui remet en cause tout le mode de vie des habitants...

"Le loup en slip", c'est le nom du théâtre de marionnettes dans la fantastique série "Les vieux fourneaux", dont le scénariste signe cette bédé dérivée et dont le dessinateur a apporté une contribution à la fin, histoire de faire le lien entre les deux. C'est surtout une fable maligne et, pour peu que l'on substitue le terrorisme islamiste au loup, terriblement dans l'air de notre temps. Le genre d'album drôle et intelligent que les parents devraient lire avec leurs enfants, et dont ils devraient se servir pour leur expliquer des choses un peu compliquées pour eux a priori: pourquoi la peur est mauvaise conseillère, pourquoi il ne faut pas se laisser influencer par des médias racoleurs et anxiogènes, ni juger sans savoir, ou comment les vrais coupables peuvent être bien planqués derrière une façade de respectabilité!



mercredi 26 octobre 2016

"The Cazalet chronicles T1: The light years" (Elizabeth Jane Howard)


C'est en lisant "How to find love in a bookshop" que j'ai découvert l'existence de ces chroniques familiales apparemment bien connues des lecteurs anglais mais jamais traduites en français à ce jour. Sans être nobles ou riches à millions, les Cazalet jouissent d'un train de vie confortable grâce au commerce de bois dirigé par l'aïeul Willian, surnommé "le Brigadier". Ils possèdent dans le Sussex une grand demeure appelée Home Place où trois générations se réunissent à l'occasion des vacances d'été. Hugh, le fils aîné, reste profondément marqué par la Première Guerre Mondiale lors de laquelle il a perdu une main. Son épouse Sybil, enceinte pour la troisième fois, commence à soupçonner qu'elle attend des jumeaux. Edward, le cadet si séduisant, entretient des liaisons clandestines depuis que sa femme Villy, une ancienne danseuse qui s'ennuie terriblement dans cette vie bourgeoise, se refuse à lui. Rachel s'occupe de ses parents avec dévouement - de toute façon, elle est amoureuse d'une autre femme, à moitié juive de surcroît, et ne pourrait jamais vivre cette relation au grand jour. Rupert, le benjamin, est un artiste coincé entre les enfants qu'il a eu de sa première femme défunte et sa seconde épouse beaucoup plus jeune qui souhaiterait qu'il lui consacre tout son temps et abandonne ses aspirations artistiques pour une carrière plus lucrative. Nous sommes à la fin des années 30, et tandis que la vie s'écoule paisible et languissante à Home Place, la Seconde Guerre Mondiale se profile à l'horizon...

Avant de commander ce premier tome, j'ai lu beaucoup de critiques qui comparaient les Chroniques des Cazalet à "Downton Abbey". Pourtant, les lecteurs qui espéreraient trouver là rebondissements dramatiques en chaîne et répliques acides à la Lady Violet seront bien déçus. Certes, Elizabeth Jane Howard raconte l'histoire, dans la première moitié du XXème siècle, d'une famille anglaise fortunée qui vit une partie de l'année à la campagne et autour de laquelle s'agitent pas mal de domestiques. Mais la ressemblance s'arrête là. "Les Chroniques de Cazalet" ont un rythme très lent et s'attachent surtout à l'observation d'un quotidien bucolique, ponctué par les pensées secrètes des uns et des autres. Les points de vue sont nombreux - rien qui devrait effrayer les fans de "Jalna" et encore moins ceux de "Game of thrones" cependant -, avec une mention spéciale pour ceux des enfants que je trouve particulièrement réussis. Les adultes, bien sûr, ont des préoccupations moins gaies, plus réalistes. La dynamique des trois couples principaux se révèle fort prenante: Hugh et Sybil, touchants et presque comiques dans leur façon de se sacrifier perpétuellement à ce qu'ils croient être les préférences de l'autre; Edward, archétype du coureur de jupons, face à Villy, femme indépendante qui aurait probablement dû le rester; Rupert qui a fait un si mauvais choix en épousant la superficielle et exigeante Zoë et doit renoncer à son rêve de devenir un peintre sérieux. Non, il n'y a pas beaucoup d'action, mais le mode de vie, l'atmosphère de la campagne anglaise et les préoccupations de l'époque sont si bien rendus que j'ai trouvé "The Light Years" très prenant et l'ai dévoré en trois jours malgré sa taille respectable. Vite, la suite!

samedi 22 octobre 2016

"L'épouvantable peur d'Epiphanie Frayeur" (Séverine Gauthier/Clément Lefèvre)


Epiphanie a huit ans et demi. Depuis toujours, elle a peur de son ombre, qui grandit plus vite qu'elle. Sa quête d'un remède lui fera croiser un guide qui a perdu son sérieux et qui est devenu aussi léger qu'un ballon, un docteur qui l'enverra chez un coiffeur sans corps, un preux chevalier qui proposera de la sauver mais qu'elle finira par contaminer, un dompteur et une voyante... Nourrie par toutes ces rencontres, c'est en elle que la fillette finira par trouver le déclic pour maîtriser sa peur. 

Mon coup de coeur bédé d'octobre, c'est cet album qui, s'il s'adresse apparemment aux enfants, aborde le problème de l'angoisse avec tant d'intelligence et de finesse que ça devrait aussi parler aux adultes concernés. (Suivez mon regard.) "Tu prends toujours tellement de place, dit Epiphanie à l'ombre-peur monstrueuse qui la suit partout. Je n'arrive plus à respirer." Sur ces prémisses peu réjouissantes en apparence, Séverine Gauthier bâtit une histoire aux métaphores aussi justes que poétiques, superbement illustrée par Clément Lefèvre. La fantaisie de leur univers offre un contrepoint bienvenu à la pesanteur de leur sujet. Une vraie réussite. 



mardi 18 octobre 2016

"Hikikomori" (Jeff Backhaus)


Depuis la mort accidentelle de son fils, trois ans auparavant, Thomas Tessler vit barricadé dans sa chambre et refuse tout contact avec le reste du monde. Au Japon, cet enfermement volontaire est un phénomène connu; aux USA, en revanche, le cas de Thomas semble unique. Pour tenter de le sauver, son épouse Silke fait appel à Megumi, une jeune Japonaise expatriée qui connaît bien le problème puisque son propre frère était hikikomori...

C'est un récit à deux points de vue que nous propose Jeff Backhaus: celui de Thomas, narré à la première personne, et celui de Megumi, narré à la troisième (ce que j'ai trouvé un peu dommage, car j'aurais préféré une approche introspective pour elle aussi). Tous les deux en deuil d'une personne chère, ils vont tisser  à huis clos une relation aussi étrange qu'émouvante dont il est impossible de prévoir où elle les mènera - avec en toile de fond, New York au milieu de l'hiver et un aperçu de la société japonaise dans ce qu'elle peut avoir de plus cruel. Les phrases coulent toutes seules, et les pages défilent si bien que j'ai lu "Hikikomori" d'un trait. Un premier roman intimiste, singulier et prenant.

samedi 15 octobre 2016

"Idaho" (Andria Williams)


Etats-Unis, 1959. Lorsque Paul est muté à Idaho Falls, sa femme Natalie et leurs deux petites filles s'installent avec lui dans une base militaire au milieu du désert. Au coeur de cette communauté isolée, il est difficile de se lier d'amitié et dangereux de se faire des ennemis. Dans un climat étouffant de secrets et de trahisons, leur mariage résistera-t-il aux tensions qui montent inexorablement? 

Sur la base d'un fait divers survenu au début des années 60, Andria Williams, elle-même femme de militaire, construit un récit à trois voix psychologiquement très fouillé, où petites lâchetés et non-dits s'accumulent jusqu'à la catastrophe. Personnalité intègre mais rigide, Paul se heurte au je-m'en-foutisme et à l'absence de morale d'un supérieur qui se met à lui pourrir la vie. Esseulée, la jolie Nat qui s'est toujours fichue des conventions de son époque et de son milieu développe une amitié ambiguë et se retrouve la proie des commérages. C'est presque un huis-clos qui se déroule dans les conditions climatiques extrêmes du désert, à l'ombre d'un réacteur nucléaire capricieux dont on sait dès les premières pages qu'il finira par exploser. "Idaho" (dont je préférais le titre original, "The longest night": "La nuit la plus longue") est un premier roman incroyablement subtil et maîtrisé, qui décortique à merveille l'alchimie d'un couple.

jeudi 13 octobre 2016

"Le pays que j'aime" (Caterina Bonvicini)


Valerio et Olivia grandissent ensemble dans la magnifique villa de la famille Morganti, à Bologne; Olivia est l'héritière de riches entrepreneurs du bâtiment et Valerio est le fils du jardinier. Après avoir partagé une enfance de rêve, ils ne cessent de se séparer, de se retrouver puis de se perdre de nouveau. Valero suit d'abord sa mère à Rome quand celle-ci quitte son père. Plus tard, alors qu'ils sont étudiants, c'est Olivia qui part à Paris pour échapper aux disputes de son clan. Chacun d'eux est animé de forces centrifuges qui les empêchent de poursuivre leur relation, aussi sincère que burlesque. Valerio est ambitieux et poursuit le rêve de devenir magistrat; Olivia, elle, tente désespérément de trouver son chemin...

Bilan de lecture mitigé pour ce roman de Caterina Bonvicini sur lequel la presse ne tarit pas d'éloges. D'un côté, le lieu et la période sont fort intéressants; l'atmosphère de criminalité et de corruption qui règne dans l'Italie berlusconienne est assez hallucinante, et j'ai trouvé l'écriture vive de l'auteure très agréable. De l'autre, les personnages m'ont paru caricaturaux, sans surprise et ni grand intérêt. Olivia, enfant gâtée inconséquente qui use et abuse de son pouvoir de séduction. Valerio, enfant de famille modeste qui met ses aspirations de côté pour prendre une certaine revanche sociale et s'enrichir d'une façon méprisable. Plusieurs fois, ils auraient l'occasion de se mettre ensemble pour de bon s'ils le voulaient réellement, mais non: il faut qu'il reste séparés pour que leur pseudo histoire d'amour continue à rebondir. Du coup, ils apparaissent moins comme des amants passionnés mais maudits que comme les victimes de leur propre manque de conviction et de suite dans les idées. Au final, dans "Le pays que j'aime", j'ai été bien davantage apprécié la toile de fond que l'action au premier plan. 

mercredi 12 octobre 2016

"Les petites reines" (Clémentine Beauvais)


Mireille Laplanche ne sera pas Boudin d'Or pour la troisième année consécutive. Au cruel concours Facebook organisé par son ex-ami d'enfance, elle s'est fait coiffer au poteau par Astrid Blomvall et Hakima Idriss. De cette triste distinction naît une amitié qui pousse les trois filles à concevoir un projet un peu fou: monter à Paris à vélo, en vendant des boudins sur la route pour financer leur voyage, et taper l'incruste à la garden party du 14 juillet l'Elysée... Pour Mireille, ce serait l'occasion de rencontrer enfin son père biologique, un grand philosophe marié à la présidente de la République et n'ayant jamais reconnu son existence. Astrid, fan absolue du groupe Indochine qui l'a aidée à surmonter l'abandon par son propre père et l'exil dans un pensionnat suisse pendant de nombreuse année, veut en profiter pour rencontrer ses idoles. Quant à Hakima, elle espère se venger du général Sassin à cause duquel son frère aîné a perdu ses deux jambes durant une opération militaire qui a mal tourné. Mais bien vite, leur périple crée le buzz sur les réseaux sociaux...

Je sais: je suis méchamment à la bourre. Le roman de Clémentine Beauvais qu'il faut avoir lu en cette rentrée 2016, c'est "Songe à la douceur", écrit entièrement en vers. Mais moi, c'est "Les petites reines" que je viens de dévorer en un après-midi et dont j'ai envie de recommander la lecture à tous les ados. Parce que Mireille s'est blindée depuis belle lurette contre les commentaires affreux que lui vaut sa mocheté, et que même si elle en souffre toujours un peu, elle fait front très crânement avec les atouts qui sont les siens: pugnacité, sarcasme, esprit d'initiative et tempérament de meneuse. Et parce que, malgré ses allures de conte de fées modernes, la réjouissante épopée cycliste des #3Boudins ne se termine pas par une transformation magique des héroïnes. Aucun cygne n'émerge des plumes des vilains petits canards. Mireille, Astrid et Hakima restent ce qu'elles sont, boulottes et disgracieuses, mais avec un bel exploit à leur actif, un peu plus de sagesse et une amitié forgée dans l'adversité. Pêchu et positif, tour à tour tendre et mordant, refusant de se plier aux diktats de l'apparence et de la coolitude, "Les petites reines" mérite sûrement le titre de Meilleur Livre Jeunesse 2015 que lui a décerné le magazine Lire.

"Pour chaque fois où une personne dit qu'on est géniales, fortes, intelligentes et combatives, il y en a une autre sur un réseau social quelque part qui s'applique à écrire qu'on est des grosses connes moches, des laiderons, des putes, des pouffiasses et des salopes, des sales connasses moches comme des culs, moches comme des truies. Qui sont ces gens? Le mystère reste entier. Y a-t-il des personnes qui existent, qui vivent, qui mangent, qui rient et qui dansent, derrière ces ahurissantes insultes?"

mardi 11 octobre 2016

"Journal d'un homme heureux" (Philippe Delerm)


Je me souviens encore de mon émerveillement lorsque j'ai lu "La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules", souvent raillé en raison de son succès commercial et de l'insignifiance apparente des sujets choisis. En vérité, tel un monsieur Jourdain de la pensée positive - et trente ans avant que celle-ci ne devienne à la mode chez les bobos -, son auteur se faisait déjà le chantre de la pleine conscience et de la gratitude pour les petits bonheurs du quotidien. Une philosophie que je m'approprie de plus en plus au fil du temps. C'est dire si j'ai une immense sympathie pour Philippe Delerm malgré les cyniques ou les snobs littéraires qui se plaisent à mépriser son oeuvre.

C'est dire aussi si je me délectais d'avance de ce "Journal d'un homme heureux" qu'il a tenu de septembre 1988 à décembre 1989, et annoté en début d'année 2016 avant de le publier au Seuil. Hélas! Le plaisir anticipé ne fut pas au rendez-vous. Dans ces pages, l'auteur parle des fleurs du jardin de sa femme, de la peinture écaillée sur les fenêtres de la maison où ils ont emménagé un an auparavant, de la météo au fil des saisons, du calme bienfaisant de la vie en province. Tous les trois jours, il répète combien il est heureux, et on s'en réjouit pour lui - mais en même temps, on s'ennuie ferme. Ca et là, quelques considérations littéraires, un commentaire pertinent sur l'actualité, une scène de village pittoresque viennent piquer l'intérêt. Je ne suis pas certaine que cela suffise à justifier la parution d'un document intime qui n'a au final de valeur que pour son auteur.