samedi 30 janvier 2016

"Les étourneaux" (Fanny Salmeron)


Après une série d'attentats à Paris, il flotte sur la capitale comme un parfum de fin du monde. Pour échapper au chaos, Brune et ses amis artistes Lodka et Ari se réfugient dans une maison à la campagne. Dans la chaleur moite de l'été, les jeunes gens décident de savourer les joies simples de l'existence. Il n'est pas si facile d'ignorer la réalité et d'oublier ceux qu'ils ont laissés derrière eux...

Délice trop court que ce roman  d'à peine une centaine de pages très aérées. D'une écriture nerveuse et évocatrice, Fanny Salmeron campe des personnages assoiffés de vivre et passablement imperméables aux conventions qui m'ont fait penser aux héroïnes de Lola Lafon. La fin, qui arrive beaucoup trop vite, m'a surprise autant qu'enchantée en jetant un nouvel éclairage sur tout ce qui avait précédé. "Les étourneaux" est initialement paru en 2013, mais après les attentats survenus à Paris l'an dernier, il devient d'autant plus troublant. En tout cas, il m'a donné envie de découvrir les autres romans de l'auteure.

"Un matin miraculeux, Brune découvrit la plus belle façon de s'élever. Elle tomba amoureuse pour la première fois de sa vie, d'un jeune chat roux entré clandestinement par la fenêtre de leur cuisine. Elle aimait tout chez lui, ses yeux de pleine lune, sa fourrure de citrouille, son museau pâle, ses airs de mauvais garçon. Brune décida qu'il ne partirait plus, et pour cela le baptisa. On ne sait pas pourquoi, mais elle choisit le prénom Olivier. Elle mêlait ses boucles blondes à ses griffes tordues, elle le laissait dormir sur son visage, elle s'enivrait de son odeur de foin. 
Le miracle dont on parle se produisit ainsi: comme elle voyait Olivier avoir faim et miauler, elle réclama à manger elle aussi. Comme elle voyait Olivier se soumettre à la loi de la pesanteur, elle s'y résigna elle aussi. 
A trois ans et demi, amoureuse transie, Brune Farrago accepta le monde tel qu'il était. Sa lourdeur et sa grâce, ses flaques et ses chutes, ses guêpes et son chocolat, ses compromis et sa comptine du soir. 
Le monde.
Et puis grandir dessus." 

"Ils continuent de vivre leur vie, eux et les autres résistants, comme si tout était resté pareil. Comme si l'apocalypse n'était qu'une passade. Comme si l'enfer n'avait pas lieu. 
Ils combattent en allant travailler, en ne craignant pas les bombes, en s'embrassant sur la bouche, en cuisant du riz, en se faisant bronzer le week-end dans des parcs, en allant au cinéma, en étendant le linge, en se mettant de la crème antirides. 
Chaque geste qui n'est pas une fuite, alors oui, c'est de la résistance, c'est du courage, c'est de la vie en plus. Ils y croient, à la supériorité de la vie sur la mort. 
Les idiots."

jeudi 28 janvier 2016

"Les carnets de Cerise T4: La déesse sans visage" (Joris Chamblain/Aurélie Neyret)


Cerise vient d'avoir 12 ans. En guise de cadeau, sa maman lui offre une semaine de vacances au bord de la mer. Et comme ce n'est pas la bonne saison pour se baigner, elle a prévu une activité qui devrait ravir notre détective en herbe: une énigme grandeur nature à résoudre au Manoir des Cent Mystères...

C'est avec un plaisir non diminué que j'ai retrouvé l'attachante jeune héroïne qui partage ma passion pour les carnets intimes illustrés. Ce tome 4 ne se prive d'aucun des ingrédients qui faisaient déjà la qualité des trois précédents. Le journal de Cerise est toujours aussi merveilleux; les dessins d'Aurélie Neyret dégagent toujours une douce lumière; les personnages secondaires restent toujours aussi sympathiques - et on a beaucoup de plaisir à revoir Michel le gardien de zoo ou Mme Desjardins la romancière; le scénario de Joris Chamblain met toujours l'accent sur de jolies valeurs humaines d'amitié, de tolérance et d'aide apportée à autrui. Amatrice d'escape games, j'ai particulièrement apprécié le thème "La déesse sans visage", mais aussi le fait qu'à travers cette aventure se poursuit l'évolution de Cerise et de ses rapports avec sa maman. Il sort quand, le tome 5? 




mercredi 27 janvier 2016

"La paresse du panda" (Fred Bernard)


A la fin de sa précédente aventure "La patience du tigre", l'intrépide Jeanne et son époux Eugène s'enfonçaient dans un gouffre aux confins de l'Himalaya en quête d'immortalité. Ils en ressortent éblouis trois mois plus tard, avec l'impression que quelques heures seulement se sont écoulées pour eux. Heureusement, leurs fidèles compagnons les ont attendus au péril de leur vie. Mais ils ne sont pas au bout de leurs peines, car il va falloir regagner la civilisation malgré les cols fermés par la neige et la secte dont les membres sont toujours à leurs trousses. 
Un siècle plus tard, dans le manoir bourguignon rempli de secrets qui appartenait autrefois à sa grand-mère, Lily Love Peacock, l'ex-mannequin devenue chanteuse de rock, se plonge dans le récit des aventures de Jeanne et Eugène qui viennent nourrir son inspiration...

Jeanne Picquigny est l'une de mes héroïnes préférées: féministe en diable, voyageuse intrépide, jamais esclave des conventions, finement ironique et passionnément amoureuse d'un homme abîmé par la vie, témoin et raconteuse de son époque. J'ai été ravie de retrouver ses aventures trépidantes, qui flirtent souvent avec le mysticisme et sont empreintes d'une sensualité crue comme on en voit rarement dans la bédé généraliste. Le parallèle instauré ici avec la vie de sa petite-fille apporte une dimension supplémentaire à l'histoire, celle du souvenir et de la transmission. Dans les années 1920 ou presque un siècle plus tard, les personnages secondaires sont toujours aussi barrés, forts en caractère et hauts en couleur. Et je ne me lasserai jamais des superbes paysages et intérieurs pleine page dont Fred Bernard émaille généreusement ses albums. "La paresse du panda": encore une belle réussite pour une série dont la qualité ne fait que croître au fil des tomes. 







dimanche 24 janvier 2016

14 livres pour les amoureux de New York




"Broadway Limited": roman jeunesse / fin des années 40 / jeune musicien français / pension de filles / secrets 

"Les Intéressants": amis de jeunesse / histoire qui se déroule sur 40 ans / échecs et désillusions 

" Le sculpteur" : bédé / jeune artiste qui conclut un marché avec la Mort / ambition et déchéance sociale / maladie mentale

"Park Avenue": haute société / points de vue multiples / chronique familiale / quasi-thriller financier

"The museum of extraordinary things": années 10 / réalisme magique / histoire d'amour / parc d'attractions / sirène / incendies

"Love saves the day": années 70 / chat / magasin de disques / relation mère-fille / deuil 

"Brooklyn": années 50 / immigration économique / héroïne irlandaise / condition féminine

"Dessous": bédé / début du XXème siècle / communauté juive / deux soeurs aux destins opposés 

"Les règles du jeu": fin des années 30 / secrétaire introduite dans la bonne société / aprcours initiatique / secrets

"Rien n'est trop beau": années 50 / points de vue de plusieurs secrétaires / roman initiatique / problématiques féminines (avortement, divorce, plafond de verre...)

"Whiskey & New York": bédé / récit biographique / galères d'une artiste débutante  / alcoolisme 

"Un appartement à New York": années 80 / amis de jeunesse / groupe de rock / meurtre / secrets

"Sous le charme de Lilian Dawes": roman initiatique / Guerre Froide / jeune homme orphelin / frère intellectuel sympathisant communiste / tante excentrique / béguin pour une femme mystérieuse

"Tout ce que j'aimais": histoire qui se déroule sur 40 ans / héros artiste et intellectuel / plongée dans l'âme humaine

vendredi 22 janvier 2016

"Une odeur de gingembre" (Oswald Wynd)


En 1903, Mary Mackenzie embarque pour la Chine où elle doit épouser Richard Collingsworth, l'attaché militaire britannique auquel elle a été promise. Fascinée par la vie de Pékin au lendemain de la Révolte des Boxers, Mary affiche une curiosité d'esprit rapidement désapprouvée par la communauté des Européens. Une liaison avec un officier japonais dont elle attend un enfant la mettra définitivement au ban de la société. Rejetée par son mari, Mary fuira au Japon dans des conditions dramatiques...

"Une odeur de gingembre" est le roman qui fut le plus souvent offert lors des swaps littéraires et rondes de poches que j'organisais à une époque, et j'avoue que ça m'intriguait. Du coup, même si je ne suis pas très fan de romans historiques, quand je l'ai trouvé chez Pêle-Mêle en état neuf, je me suis dit que je ne risquais pas grand-chose à essayer de le lire. Il avait deux atouts pour me séduire: sa forme de journal intime mâtiné de correspondance privée, et le fait qu'une bonne moitié de l'histoire se passe au Japon. Et de fait, je l'ai dévoré. 

J'ignore comment Oswald Wynd a pu aussi bien se projeter dans la tête d'une femme du siècle dernier, mais son héroïne est extrêmement crédible. Elle porte sur l'Asie du début du XXème siècle le regard d'une étrangère naïve qui découvre tout avec une belle ouverture d'esprit, un mélange de perplexité et d'amusement, mais surtout une grande volonté d'adaptation. Bien qu'elle soit à la base une jeune Ecossaise des plus ordinaires, dont le destin bascule à cause d'une seule impulsion, elle ne renonce jamais et réussit le tour de force de se construire une existence au Japon en tant que femme seule marquée du sceau de l'infamie. J'aurais pu continuer à lire son journal pendant des centaines de pages encore. 

J'avoue avoir été un peu frustrée par les "blancs" à certains moments-clés de sa vie, notamment lorsqu'elle devient mère pour la première fois ou qu'elle lance sa propre entreprise de confection. Ne parlons même pas des circonstances dans lesquelles se referme le roman: elles m'ont laissée tout à fait déconfite. Néanmoins, "Une odeur de gingembre" est vraiment un beau portrait de femme, doublé d'un regard intéressant sur la culture niponne et la vie au Japon dans la première moitié du XXème siècle.  Il m'a appris beaucoup de choses sur les guerres en Asie à cette époque sans me barber une seule seconde. 

"Il m'arrive parfois de penser à ces petits incidents qui semblent sans importance et qui ont changé le cours de ma vie, comme d'aller chez Margaret Blair et d'y avoir rencontré Richard, une chance sur dix mille, en réalité. Et puis il y a eu cette promenade matinale sur un sentier qui traversait un petit bosquet de bambous et menait à Kentaro. Que des événements aussi anodins puissent transformer aussi radicalement le cours de ma vie veut-il dire que je suis atteinte d'une espèce particulière de folie? Les autres bâtissent-ils leur vie sur de tels incidents? Je crois bien que ne réussissent dans la vie que les gens à qui il n'arrive rien, et qui planifient leurs jours comme la trajectoire d'un bateau sur une carte, sans jamais quitter leur boussole des yeux."

vendredi 15 janvier 2016

"Un parfum d'herbe coupée" (Nicolas Delesalle)


Sous prétexte d'écrire une lette ouverte à sa future arrière-petite-fille Anna, Nicolas Delesalle, journaliste à Telerama, égrène ici ses souvenirs depuis l'enfance jusqu'au moment où il devient papa. Rouler de nuit sur l'A10 dans la R25 familiale sur la route des vacances, assis sur la banquette arrière entre ses deux soeurs aînées qui dorment. La déception de la première Communion. Les amours enfantines; la masturbation devant le porno de Canal Plus un samedi soir. L'explosion de la navette Challenger à laquelle il assiste en direct à la télé. La découverte de la littérature à travers l'oeuvre de Boris Vian. La grand-mère russe qui passe son temps à lire des romans Harlequin. Les vaines tentatives pour faire survivre une sauterelle au vol d'une fusée maison. Le choc de l'accident de bus qui tue 44 enfants de son âge près de Beaune. Le premier Walkman (qui ne dispense pas de vider le lave-vaisselle). Les émissions de Michel Drucker le dimanche après-midi. La découverte du clip de "Thriller". Une bagarre générale pendant un match de rugby perdu d'avance. Les bédés des Tuniques Bleues lues au lit quand il est malade et dispensé d'école.  Le premier baiser pendant une boum, la première rupture au bord d'un étang. Le copain qui se tue en voiture avec son permis tout neuf. L'euthanasie de Raspoutine, le fidèle berger allemand. Avec beaucoup de recul, d'humour, de tendresse mais aussi de gravité et de profondeur, "Un parfum d'herbe coupée" offre au lecteur une tranche de nostalgie douce-amère qui tantôt réchauffe le coeur et tantôt tire des larmes. Un livre juste et beau. 

"Dans trois générations, mon arrière-petite-fille ne connaîtra pas mon prénom. Elle ignorera tout de ma vie. Ma famille. Mes amours. Mes amis. Mes souvenirs. Elle ne saura pas qu'un jour, à seize ans, j'ai fait une chute en mobylette parce que j'essayais de conduire le plus longtemps possibles les yeux fermés. Elle ne saura jamais quel mépris visionnaire j'ai pu porter à Internet quand on me l'a présenté pour la première fois en 1996. Elle ne saura jamais combien j'ai eu la trouille le jour de la naissance de sa grand-mère, venue au monde bleue comme un iceberg et sans pousser un cri. Elle ne saura jamais que je suis capable de tuer une portée de chatons angora pour un boeuf Strogonoff cuisiné par ma mère. Et elle ne saura pas quelles musiques m'arrachaient le ventre, quels romans me brûlaient la tête, quelle sainte haine je vouais aux Vélib'."

"Je me demande où tu es à cette heure-ci Anna. Où se cachent les atomes qui composeront ton corps, ton cerveau, tes yeux. Je sais qu'ils sont déjà là, quelque part, cachés à la surface de cette planète, planqués dans les nuages, les océans, les forêts, dans les molécules de la croûte d'un saint-nectaire en train d'être affiné en Auvergne, dans l'écaille d'un saumon qui vient de sauter au-dessus d'une petite cascade en Alaska et qui remonte le torrent de son enfance pour s'en aller frayer, dans le carbone de la peinture rouge d'une Ford Mustang qui roule dans la banlieue de Los Angeles avec à son bord les quatre members armés d'un gang hispano-américain, dans la salive que s'échangent deux amoureux qui s'enlacent pour la première fois à l'abri d'un parc dans la banlieue parisienne. Tu n'es encore nulle part, Anna, mais tes atomes sont partout. Quand tu poseras les yeux sur ces lignes, ça sera à mon tour de me disperser dans le vent, la pluie, les saumons et le fromage."

lundi 11 janvier 2016

"L'encyclopédie curieuse et bizarre Volume 2: Les chats" (Guillaume Bianco)


Si j'ai été plus que déçue par l'autre bédé sur les chats sortie juste avant les fêtes, cette encyclopédie signée Guillaume Bianco et s'inscrivant dans l'univers de Billy Brouillard a su, elle, me séduire par sa richesse. Chacune de ses 60 pages est un régal pour les yeux, fourmillante de détails mignons ou amusants. Un soin tout particulier a été apporté à la typographie, à la composition et à la mise en page; on en prend vraiment plein les mirettes. Les différentes races de chats, leurs super-pouvoirs, les croyances dont ils font l'objet, comment se confectionner un costume pour leur ressembler, que faire pour vivre comme eux - l'auteur nous explique tout cela en mélangeant vérité et fiction humoristique. Il nous raconte aussi les aventures de Billy et de son matou Tarzan ("grosse truffe, air ahuri, cou un peu tordu"), avec son penchant habituel pour le fantastique un peu macabre. Bref, un plaisir de lecture que je recommande chaudement!







dimanche 10 janvier 2016

"La passe-miroir T2: Les disparus du Clairdelune" (Christelle Dabos)


Fraîchement promue vice-conteuse, Ophélie découvre à ses dépens les haines et les complots qui couvent sous les plafonds dorés de la Citacielle. Dans cette situation toujours plus périlleuse, peut-elle seulement compter sur Thorn, son énigmatique fiancé? Et que signifient les mystérieuses disparitions de personnalités influentes à la cour? Ophélie se retrouve impliqué malgré elle dans une enquête qui l'entraînera au-delà des illusions du Pôle, au coeur d'une redoutable vérité. 

Un deuxième roman, c'est toujours casse-gueule quand le premier a remporté un grand succès. A fortiori s'il s'agit du deuxième tome d'une trilogie - ce qu'on appelle traditionnellement le "ventre mou", entre la présentation de l'univers au tome 1 et la résolution de l'intrigue au tome 3. Pourtant, je n'étais pas inquiète: avant même d'entamer "Les disparus du Clairdelune", je n'avais lu que des avis dithyrambiques. Je vous le confirme: Christelle Dabos ne déçoit pas un seul instant sur les 550 pages de ce volume. Ophélie continue à sortir de sa coquille, à s'affirmer et à prendre des initiatives courageuses alors que les dangers se multiplient autour d'elle. Thorn reste le héros romantique le plus improbable qui soit, avec son extrême rigidité psychologique et son incapacité à exprimer la moindre émotion ("Votre jour sera le mien. Ce jeudi m'arrangerait."). On retrouve avec plaisir les personnages secondaires hauts en couleurs que l'on avait appréciés dans "Les fiancés de l'hiver"; on apprend à mieux les connaître et à identifier leurs motivations parfois surprenantes sous le masque enchanteur des apparences créées par les Mirages. De nouveaux clans et de nouveaux pouvoirs font leur apparition, venant enrichir les intrigues de cour. Le mystère central, bien que ne brillant pas par sa complexité, fournit à l'auteure l'occasion d'aborder des sujets tout ce qu'il y a de plus réalistes comme la lutte des classes ou le racisme. La mythologie à peine effleurée jusqu'ici se développe jusqu'à une conclusion qui me fait redouter, pour le tome 3, le sempiternel enjeu de la sauvegarde de l'univers. Mais le style est toujours aussi plaisant, avec de nombreux belgicismes tenant lieu de patois animiste et des expressions savoureusement imagées telles que: "Monsieur l'ambassadeur, vous êtes plus lubrique qu'une salière", ou: "Il a la puissance de concentration d'un noyau de cerise." Je sais déjà que je vais trouver le temps très, très long jusqu'à la parution du tome 3 de cette série vraiment exceptionnelle.

"Recroquevillée dans on lit, accablée par la chaleur tropicale, elle était en proie à une telle anxiété que son animisme, exceptionnellement fébrile, contaminait tout le mobilier de la chambre. La moustiquaire en baldaquin se gonflait comme une voile de bateau, les cintres du paravent cliquetaient les uns contre les autres, les lunettes galopaient le long du lit avec une démarche de crabe furieux, le soulier gauche tapait du talon sur la moquette et les persiennes grelottaient dans leurs gonds, faisant trembler la lumière illusoire du soleil à travers les interstices."

samedi 9 janvier 2016

"Photo invasion" (Lucas Levitan)


Un jour, alors que Lucas Levitan se promène dans les rues de Londres, une brique tombe d'un immeuble en construction, le manquant de quelques centimètres à peine. Epiphanie pour cet expatrié brésilien qui, dès lors, décide de se consacrer uniquement à ses projets personnels: la photo, le cinéma, et plus récemment l'illustration. Il ouvre un compte Instagram sur lequel il détourne les clichés pris par d'autres gens en y ajoutant de petits personnages qui en modifient complètement le sens et incitent à regarder le monde sous un autre angle - parfois poétique, parfois humoristique, parfois juste étrange. "Photo Invasion" est le premier recueil de ses oeuvres, auto-édité grâce à un Kickstarter auquel j'ai participé avec enthousiasme et désormais disponible avec une belle couverture cartonnée. Je vous invite aussi à vous abonner à son chouette compte Instagram: @lucaslevitan.






vendredi 8 janvier 2016

"Au bonheur des listes" (Shaun Usher)


Comme moi, vous êtes fasciné par les listes? Alors, offrez-vous ou faites-vous offrir ce beau "Recueil de listes historiques inattendues et farfelues", compilées par Shaun Usher. On y trouve, par exemple: 
- une To Do List de Johnny Cash, qui parmi ses tâches à effectuer inclut "Embrasser June"
- l'inventaire, par George Pérec, de tout ce qu'il a bu et mangé pendant une année entière: "Cinq andouillettes, trois boudins, un boudin aux pommes, une côtelette de porc, deux choucroutes..."
- une énumération de suspects du meurtre de Kennedy, rédigée de la main de sa secrétaire de l'époque et se terminant par un vague "communistes"
- 50 possibilités de noms de nains pour Blanche-Neige, brainstormés par Walt Disney
- les "J'aime, j'aime pas" de Roland Barthes (qui contrairement à moi raffolait de la cannelle, mais n'aimait pas non plus les géraniums ni les soirées avec des gens qu'il ne connaissait pas)
- 222 idées bizarres d'H.P. Lovecraft: nous avons échappé à un roman sur la migration de lemmings en Atlantis
- <s>le roommate agreement</s> les engagements domestiques pris par Kurt Vonnegut lorsque sa femme attendait leur premier enfant: "Dans l'éventualité où je serais directement coupable d'avoir causé une flaque autour de la baignoire, je m'engage, à l'aide d'une brosse et du détergent Swift's Cleanser, et non de mes serviettes, à nettoyer ladite flaque."
- les conseils de lecture d'Ernest Hemingway à un jeune romancier
- les 11 règles de Preston Sturges pour conquérir le box office: "Un chien vaut mieux qu'un paysage, un chaton vaut mieux qu'un chien, un bébé vaut mieux qu'un chaton, un baiser vaut mieux qu'un bébé, une chute sur les fesses vaut mieux que tout."
- et bien d'autres encore, de la plus longue à la plus courte, de l'auteur le plus célèbre au plus inconnu voire anonyme, du sujet le plus sérieux au plus cocasse. 
Sobrement mis en page et superbement illustré, c'est un plaisir dont vous profiterez longtemps! 







jeudi 7 janvier 2016

"Peine perdue" (Olivier Adam)


En morte-saison sur la Côte d'Azur, la vie continue, plus mouvante que jamais. Les habitants sont successivement bouleversés par la violente agression d'Antoine, gloire locale du football amateur, laissé pour mort, et par une tempête inattendue qui ravage le littoral, provoquant une importante série de disparitions. Famille des victimes, personnel hospitalier, retraités, petits mafieux, vingt-deux hommes et femmes sont confrontés à la folie des éléments et emportés par les drames qui agitent la côte. 

Je ne suis pas fan de littérature déprimante. J'aime les histoires qui m'inspirent et me mettent le coeur en joie, pas qui me plombent le moral. Pourtant, j'avais beaucoup aimé "Les lisières" d''Olivier Adam. Alors mardi, quand j'ai dû choisir parmi la sélection limitée du Relay un bouquin pour m'accompagner pendant mes six heures et demie de TGV, je me suis laissée tenter par  la version poche de "Peine perdue". Et j'ai bien fait, parce que je l'ai adoré.

D'abord pour sa construction: un point de vue par chapitre, c'est un peu comme un recueil de nouvelles racontant vingt-deux histoires individuelles qui s'entremêlent et dont chacune jette un éclairage différent sur les autres, jusqu'à ce que les pièces du puzzle finissent par s'assembler et que l'on comprenne ce qui est arrivé à Antoine. Grâce au talent d'Olivier Adam, quelques pages suffisent pour brosser des portraits saisissants de réalisme et d'humanité. Et c'est vrai que les hommes sont souvent veules, avec une tendance à se réfugier dans l'alcool, les liaisons extraconjugales, la dope et les mauvais coups pour les plus jeunes, une forme de résignation et d'absence à leur propre vie pour les plus âgés, tandis que les femmes incarnent généralement le pragmatisme et le courage, assurant face aux manquements du sexe opposé ou aux injustices de la vie.

Mais pas toujours. Au milieu de l'ennui, de l'abrutissement d'existences médiocres surgissent aussi d'authentiques bonnes volontés, des caractères droits et bienveillants. Et puis parfois, des paumés apparaissent aux endroits où on s'y attendait le moins. Bien que fortement déprimant, l'ensemble dégage une extraordinaire impression d'humanité partagée, de "on est tous dans le même bateau, tous tourmentés par les mêmes démons et tous susceptibles de déraper sans mesurer la portée de nos actes". Il touche à des sujets universels tels que la lassitude dans le couple, la difficulté d'être un bon parent et la façon dont nos enfants nous échappent, la vieillesse qui nous désarme tous ou l'impression d'être passé à côté de sa vie.

S'il est réussi sur le plan psychologique, "Peine perdue" brosse aussi un tableau très juste d'une station balnéaire hors saison touristique, de l'atmosphère assez particulière qui peut régner quand il ne reste pas grand-chose à faire pour les gens du coin, quand ce lieu qui semble paradisiaque aux vacanciers devient leur seul horizon et, quelque part, leur prison. Décrire si bien l'envers de la beauté et son côté étouffant n'est pas à la portée du premier venu. Happer le lecteur avec des drames du quotidien le plus morne qui soit ne l'est pas non plus. Quant à se mettre dans la tête de personnages aussi différents, ça nécessite une sacrée dose d'empathie. Et ça rend dépressif, apparemment - à moins que ça ne soit l'inverse. Olivier Adam, c'est l'auteur dont les bouquins devraient me rebuter et m'envoûtent néanmoins inexplicablement. Le chapitre consacré à ce couple de personnages âgées qui, la dame étant atteinte d'une maladie incurable, s'enfoncent au sens littéral dans la tempête pour ne pas avoir à se lâcher la main est l'une des choses les plus émouvantes que j'ai jamais lues.

"Il mesure combien cette fatigue d'être devenu vieux, il l'a accueillie avec complaisance, combien il s'y est vautré. Combien il a volontairement succombé au ralentissement, sans lutter vraiment, surjouant une vieillesse avérée mais pas si vorace malgré tout. Il mesure combien peu à peu il l'a érigée en rempart, en excuse, en repli. Non il ne voulait plus venir ici. Parce qu'il ne supportait plus la brûlure des choses enfuies. Cette douleur de tout savoir passé et irrémédiable. Perdu et sans retour. Il avait peur de ne rien pouvoir regarder sans sentir les larmes venir et le coeur se serrer jusqu'à l'étouffer. La maison, la terrasse, la baie, chaque arpent de maquis, chaque sentier. Tout ça gavé d'une vie courant vers son terme." 

"Il ressemble à son propre père. Après un certain âge tous les pères se ressemblent, quelque chose en eux s'attendrit, rend les armes, se dépouille de toute carapace. On repense à la frousse qu'ils nous flanquaient gamins quand ils élevaient la voix, nous menaçaient d'une fessée, nous enjoignaient de leur obéir, de ne pas les décevoir, faillir, trahir leur confiance, nous soustraire à leur autorité. Et les voir maintenant si désarmés nous émeut et donne l'impression de faire face à une autre personne, sans que parfois il soit vraiment possible d'établir un lien. Et là encore on cherche le moment où quelque chose a dévié, a mué, s'est transformé. Cela s'est-il passé d'un coup? Y a-t-il eu un jour précis où les choses ont changé? Ou tout ne s'est-il produit que par glissements imperceptibles? Au fond, c'est comme la maladie. Elle se révèle un jour, franche et massive, prenant toute la place. Et on se demande comment on ne l'a pas vue venir plus tôt alors qu'elle rongeait peu à peu, gagnait du terrain."

vendredi 1 janvier 2016

Les sorties bédé que j'attends avec impatience en janvier



La seule série de fantasy en bédé que je suis encore, parce que l'univers créé par Lupano est original et intrigant en diable. Ce Tome 3 devrait être le dernier - et c'est bien dommage. Vous pouvez lire ma critique du Tome 1 ici



Je ne me lasserai jamais des aventures de la famille Verdelaine. On me les raconterait sous forme de série télé ou de film que je serais ravie de me les refaire une Xème fois. En attendant, je trouve que Cati Baur a parfaitement su donner un visage aux héroïnes des romans de Malika Ferdjoukh. Vous pouvez lire ma critique du Tome 1 ici et celle du Tome 2 .



La série jeunesse que j'ai recommandée à des dizaines de parents, dont les enfants ont tous été enchantés par les aventures de la jeune détective. Vous pouvez lire ma critique du Tome 1 ici, celle du tome 2 .



Boulet me fait rire comme personne d'autre, et m'écrier "Putain mais c'est EXACTEMENT ça" plus souvent que personne d'autre. En plus, il est adorable en dédicace. J'avais écrit une critique du Tome 6 ici

Et vous, des sorties que vous attendez avec impatience en ce mois de janvier?